L’Afrique du Sud a annoncé son intention de se retirer de la Cour pénale internationale. Pendant ce temps, le président brésilien Lula discute d’un plan de paix pour l’Ukraine en Chine, dans lequel il propose que l’Ukraine cède la Crimée à la Russie. En outre, l’Inde achète de grandes quantités de pétrole à la Russie pour les revendre aux Européens avec une prime de 30 à 40%. Le monde est en train de se reconfigurer, et les pays de la Chine étendue et les Indiens sont en train de remplacer les Européens en termes d’énergie. Cela peut sembler triste pour le Vieux Continent, mais ceux qui voient le monde en termes d’opportunités plutôt qu’en termes de nostalgie peuvent comprendre et s’adapter pour en profiter. Le Nouveau Monde implique de nouvelles règles. Qu’est-ce que cela signifie pour les Européens, les Américains et les Indiens ?
Pourquoi l’économie indienne ne décolle pas ?
Voici une question que je me suis souvent posée : pourquoi l’Inde ne parvient-elle pas à décoller économiquement ? Charles Gave propose une réponse majeure et de premier ordre à cette question dans un article publié par l’Institut des Libertés. Cette réponse repose sur la contrainte pétrolière. Mais qu’est-ce que la contrainte pétrolière ? Pour la comprendre, il faut revenir aux bases. Le PIB d’un pays est directement proportionnel à la quantité d’énergie que son économie est capable d’utiliser.
Ce graphique est sans appel : plus vous disposez d’énergie, plus vous avez de croissance. Pour comprendre le problème de l’Inde, qui l’a empêchée de croître, il faut examiner la question plus en profondeur.
Les 3 grandes sources de croissance
En réalité, il existe trois principales sources de croissance économique. La première est la disponibilité d’une grande quantité d’énergie, qui est la base de toute création de richesse. En effet, l’histoire nous montre que les civilisations qui ont découvert de nouvelles sources d’énergie plus denses ont connu une évolution économique qualitative. Par exemple, le blé a permis de nourrir les hommes et les animaux et a ainsi contribué à la création de royaumes, tandis que le charbon, l’air industriel et l’énergie nucléaire ont joué un rôle important dans notre époque moderne. La fusion est quant à elle considérée comme l’avenir. Il est naturel de comprendre que plus l’énergie est dense, plus la technologie nécessaire pour l’exploiter est avancée. C’est pourquoi nous sommes confrontés à la fin de l’époque du pétrole, car le monde a renoncé à l’énergie nucléaire, qui est la source de croissance énergétique après les hydrocarbures.
La deuxième source de création de valeur est la productivité ricardienne. Le but est d’augmenter la croissance économique en utilisant une même quantité d’énergie. L’Union européenne s’est efforcée d’homogénéiser les normes, la monnaie, les infrastructures et même les cultures afin de supprimer les points de friction entre les différentes économies de la zone. Les Allemands se sont spécialisés dans la production industrielle, les Espagnols dans le tourisme et les Français dans la fonction publique. La Chine est également en phase de croissance ricardienne en créant des infrastructures économiques et financières pour augmenter la productivité de sa région. Cependant, la croissance ricardienne est très rentable en termes de rattrapage économique, mais elle ne peut pas durer indéfiniment, car elle finit par se scléroser. En cherchant à optimiser un système à la marge, on finit par ériger de plus en plus de règles et de normes pour un gain de plus en plus marginal, ce qui nuit à la troisième et dernière source de croissance, à savoir la croissance par l’innovation.
La troisième source de croissance économique est la croissance par l’innovation schumpétérienne. Elle consiste à casser un système pour en créer un nouveau et meilleur. Par exemple, Uber a décidé de remplacer le système de taxis mal conçu par un système basé sur des chauffeurs dont les commandes sont pilotées par une application, ce qui est beaucoup plus efficace pour tout le monde.
En résumé, pour faire croître un pays, il faut en premier lieu disposer d’une source d’énergie suffisante, en deuxième lieu investir dans la technologie et les infrastructures pour maximiser la production de richesse, et en troisième lieu encourager l’innovation pour trouver de nouveaux moyens de créer de la richesse.
Pour illustrer ces principes, il suffit de regarder ma vidéo ci-dessus sur le fonctionnement économique des metaves. Il s’agit d’un exemple de système économique et financier fonctionnel reposant sur les mêmes principes de création de valeur. Cependant, revenons au cas de l’Inde en gardant les pieds sur terre. Comme elle a émergé tardivement dans la mondialisation, avec beaucoup de retards technologiques et organisationnels par rapport à l’Occident et à l’Asie, elle a toujours buté sur la contrainte de l’énergie. En effet, son économie était peu performante par rapport à ses concurrents dans le monde, ce qui a entraîné une priorité donnée à l’Occident, puis à l’Asie, c’est-à-dire aux zones où la productivité par baril consommé était la plus intéressante. Bien évidemment, tout cela se fait par l’intermédiaire des marchés et des prix, mais cela revient exactement à cela. Il est cruel de constater que sans des ressources énergétiques suffisantes sur son territoire, l’économie indienne n’était pas suffisamment attractive pour que les producteurs d’énergie la placent en priorité. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Les nouveaux gagnants/perdants de la mondialisation
Avant la guerre en Ukraine, les pays producteurs de pétrole produisaient de l’énergie pour la vendre aux économies développées, afin d’en tirer le meilleur prix. Les États-Unis avaient alors pour rôle d’organiser le système financier mondial. Il est important de garder à l’esprit que l’industrie financière est une technologie déficiente qui a permis au monde de se développer beaucoup plus rapidement. Si l’on examine les détails, ce sont surtout les très riches occidentaux et la grande masse des populations asiatiques qui ont profité de cette phase de mondialisation.
C’est précisément ce que nous explique la courbe en forme d’éléphant ci-dessus. Au centre se trouvent les populations des pays en fort développement, comme la Chine, à droite se situent les classes moyennes occidentales perdantes et tout à droite se trouve l’enrichissement des traits riches. Même si vous constatez qu’en proportion les classes moyennes occidentales ont légèrement moins profité que le chinois médian, il est malheureux de constater que, globalement, les Indiens sont tout à gauche et sont passés à côté de cette phase de croissance économique. Cela s’explique par le fait que l’Inde n’était pas suffisamment intéressante économiquement pour les producteurs de pétrole.
Les USA luttent pour conserver leur suprématie
Pendant cette période, les États-Unis ont joué un rôle de facilitateur économique avec leur monnaie, le dollar, malgré les problèmes collatéraux que cela peut engendrer. Toutefois, à partir des attentats du 11 septembre et jusqu’à la guerre en Ukraine, les États-Unis ont cherché à ajouter des contraintes à l’utilisation du dollar pour tenter de conserver leur suprématie économique, malgré une forte réduction de leur puissance économique par rapport au reste du monde. En effet, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le PIB des États-Unis représentait plus de 50% du PIB mondial, alors qu’aujourd’hui, il ne représente plus que 20%, soit le même niveau que la Chine. Au lieu d’accompagner cette réalité en réduisant de manière contrôlée l’influence de leur empire, les États-Unis ont préféré maintenir leur domination économique en recourant à la force, en étendant la zone d’influence de l’OTAN et en imposant leur droit extraterritorial à toute utilisation du dollar. C’est pourquoi je soutiens que la guerre en Ukraine n’est qu’une des multiples conséquences de l’évolution de ces rapports de force mondiaux. Aujourd’hui, la Russie, la Chine et de nombreux autres pays estiment qu’ils seraient mieux sans le dollar.
L’union européenne se tire une balle dans la tête
En parallèle, l’Union européenne, totalement alignée sur les intérêts américains, s’est isolée de la Russie et de ses ressources énergétiques. Elle a ainsi littéralement tiré une balle dans le pied.
Le monde moins l’Occident
En conséquence, les grandes économies hors de l’Occident, comme la Chine et les pays producteurs de pétrole tels que la Russie et les Émirats, entament des discussions pour résoudre les nombreux conflits, comme celui au Yémen. En 2023, des actualités impensables il y a seulement deux ans émergent, telles que l’annonce que le Yémen représente un test clé pour la nouvelle diplomatie chinoise dans le golfe. Cela se traduit par un nombre croissant d’accords entre les pays de cette région, que j’appelle le « monde moins l’Occident« . Ces accords ont pour but de favoriser le commerce entre les pays dans leur propre monnaie, en évitant l’utilisation du dollar. Parallèlement, puisque l’Union européenne s’est coupée de la Russie, il y a désormais de grandes quantités de pétrole disponibles en Russie qui n’ont plus de débouchés évidents. Les pays de cette région souhaitent ainsi commercer différemment, contournant les contraintes imposées par les Occidentaux, qui sont tellement fortes qu’elles surpassent les faiblesses de l’économie indienne. Pour la Russie, il est désormais plus intéressant d’envoyer son pétrole en Inde plutôt qu’en Europe. En conséquence, l’Inde pourrait acheter son pétrole aux Russes en roupies, ce qui signifie concrètement que la Russie investira dans le futur économique de l’Inde en détenant des obligations d’État indien. Les Russes, les Chinois, les Indiens et les pays de cette région devront donc trouver des accords commerciaux pour équilibrer les flux entre eux. Cela signifie que, à l’échelle mondiale, la somme de la richesse produite va régresser, mais cela se traduira par un boom économique majeur pour les Indiens et les Chinois, ainsi qu’une grande perte de niveau de vie pour les Européens et les Américains, bien que pour des raisons différentes.
Le destin à venir de l’Europe
En ce qui concerne l’Europe, la situation est claire : moins de pétrole équivaut à moins de croissance. Les pays de l’Union européenne vont devoir se concentrer sur les technologies énergétiques plus sobres, ce qui signifie que plutôt que d’acheter des billets pour assister à des matchs de football, les gens devront investir dans des travaux d’isolation pour ne pas avoir froid l’hiver. Seuls des pays comme la Suisse seront en mesure de sortir la tête de l’eau grâce à leur industrie puissante qui leur permet de supporter un taux de change très élevé par rapport aux autres pays de l’Union européenne. Il est évident que le pétrole disponible ira d’abord à la Suisse, dont les industries sont capables de supporter sans risque de faillite un litre de pétrole à 3 euros. Cela fonctionne également parce que la Suisse est un petit pays et que les riches quittent l’Union européenne pour aller s’installer en Suisse où le cadre de vie est différent, entraînant ainsi des transferts de capitaux qui soutiennent ces pays. En d’autres termes, la Suisse est le pays où la rentabilité marginale sur le capital investi est la plus forte. Pour l’Europe, cela signifie une récession durable et à long terme.
La baisse du niveau de vie US
En ce qui concerne l’économie américaine, il est prévisible que le dollar subisse une forte dévaluation par rapport au yuan sur une période d’environ dix ans, le temps que les pays du monde, en dehors de l’Occident, mettent en place les infrastructures financières nécessaires pour gérer eux-mêmes les opérations actuellement réalisées par Wall Street. Globalement, il est estimé que les réserves de change des pays du monde, hors Occident, verseront environ 7000 milliards de dollars aux États-Unis, ce qui est colossal. En conséquence, le déficit extérieur d’environ 1000 milliards de dollars par an ne sera plus soutenable, car il ne pourra plus être payé en dollars. De plus, le coût des importations augmentera en raison de la dévaluation du dollar, ce qui entraînera probablement une baisse du niveau de vie américain d’environ 30 %. Les États-Unis produisent suffisamment d’énergie pour leurs besoins, mais il faudra ajuster leurs dépenses en fonction de leurs revenus, car ils ont pris l’habitude de financer leur déficit avec la création de monnaie. Pour ces raisons, Didier Darcet et moi-même proposons de plus en plus d’opportunités d’investissement en dehors de l’Occident et du système bancaire européen. Ce n’est pas que nous soyons contre l’Occident, mais c’est simplement la marche du monde actuel. Comme l’explique Ray Dalio dans l’un de ses derniers articles, nous vivons une période de tensions géopolitiques, car les grands centres de pouvoir cherchent de nouveaux équilibres. Si vous souhaitez des solutions pour votre épargne, que vous comprenez l’importance de l’internationaliser, inscrivez-vous à notre formation gratuite de sept jours par email. Prenez le temps de poser les bases et de découvrir les options disponibles pour mieux comprendre l’importance de la diversification.
L’inévitable crise européenne à venir
En ce qui concerne la croissance, l’Union européenne va renforcer sa réglementation pour faire face à la pénurie d’énergie, en poussant la croissance ricardienne à ses limites. Cependant, le problème est que sans un certain niveau de chaos et de désordre dans l’économie, la destruction créatrice de Schumpeter disparaît et l’Europe risque de se scléroser, entraînant une crise prolongée. Bien que cela puisse prendre du temps, les perspectives semblent inévitables.
Les USA pourraient-ils encore nous surprendre ?
Pour les États-Unis, des surprises pourraient survenir car ils disposent d’une grande quantité d’énergie. Toutefois, il leur manque un sursaut civilisationnel pour détruire les structures sclérosantes en place, et les remplacer par une nouvelle économie de la connaissance ou du futur dont je ne sais pas grand-chose. En somme, une grande crise avec une population pauvre pourrait être nécessaire pour espérer un grand bond en avant vers une réindustrialisation par l’innovation. Il ne faut pas oublier que les États-Unis sont le berceau de la technologie de pointe. Tandis que les Européens s’interrogent sur la manière d’économiser l’énergie, les Américains ont réussi à faire décoller la plus grande fusée jamais construite au monde, le Starship de SpaceX, qui vise à décoller et à atterrir presque comme un avion long-courrier entre la Terre et d’autres planètes. Nous ne sommes pas sur le même niveau d’ambition, et je ne parle pas de l’intelligence artificielle ou de la concentration des mineurs de Bitcoin aux États-Unis. Il est donc possible qu’il y ait des obstacles à court terme, mais également de belles cartes en main pour l’avenir.
BRICS: une croissance heureuse pour les 10 prochaines années
En revanche, les pays BRICs vont probablement accélérer leur croissance ricardienne. Cette croissance rapide pourrait leur prendre environ 10 ans pour se mettre en place, mais à la fin de cette période, la question de l’État de droit se posera. C’est la seule façon connue à ce jour pour qu’une économie accepte des entrepreneurs schumpeteriens qui viendront perturber les structures sociales en place afin d’innover. La Chine, l’Inde ou la Russie seront-elles prêtes à accepter une bonne dose de chaos dans 10 ans ? Cela sera leur prochain défi pour prendre le relais de la croissance.
Si vous avez du mal à croire à quel point le monde change rapidement et profondément, je vous recommande de regarder la vidéo ci-dessus où je vous montre les rapprochements incroyables qui ont lieu entre la Russie et l’Arabie Saoudite. Si vous pensez qu’il est impossible que l’Arabie Saoudite importe du pétrole de Russie, vous serez surpris.
Richard Détente