Les enjeux de l’or : Chine contre Occident

16 juin 2023

Dans une vidéo datant du 15 avril 2018, je vous exposais la mise en place progressive mais assurée par la Chine des institutions nécessaires pour parvenir à une convertibilité effective du pétrole en or. Concrètement, la Chine a mis en œuvre deux instruments en 2018 qui occupent aujourd’hui une place centrale dans notre actualité. Le premier est la cotation de l’or à Shanghai, sur le Shanghai Gold Exchange. Grâce à ce marché, si vous possédez de l’or, vous pouvez vous rendre à Shanghai pour l’échanger contre d’autres actifs, tels que le yuan, par exemple. Le deuxième outil est ce que l’on appelle un contrat à terme sur le pétrole, qui est également coté à Shanghai. Ce type d’instrument financier vous permet d’acheter du pétrole à une échéance donnée, par exemple six mois, que ce soit pour spéculer ou pour en prendre livraison. Ainsi, pour résumer, depuis 2018, il est possible pour une personne arrivant en Chine avec des dollars, des yuans, du pétrole, de l’or ou d’autres devises, d’effectuer des échanges entre ces différents actifs. La particularité est que l’Occident dispose des mêmes outils. Donc, logiquement, dans un monde qui fonctionne bien, les prix sur les deux marchés devraient être identiques, car dès qu’une différence se manifeste, des opportunistes interviennent en achetant d’un côté pour revendre de l’autre. On appelle cela l’arbitrage, et c’est ce mécanisme qui permet à une action cotée à New York et à Paris d’avoir la même valeur. Cependant, vous commencez à ressentir qu’en cas de dégradation du fonctionnement mondial, si des barrières se dressaient entre les BRICS et l’Occident, ces mécanismes d’arbitrage pourraient ne plus fonctionner correctement, ce qui nous réserverait des « surprises », pour le dire ainsi. Oui, je suis en train de parler des conséquences de la crise entre la Russie et l’Occident, avec toutes les sanctions qui ont précisément pour objectif d’établir de telles barrières.

Le casse du siècle

Pourquoi l’or a de la valeur ? L’or c’est la valeur financière de l’énergie

Comme nous l’avons déjà largement démontré avec Didier DARCET, le prix de l’or est fondamentalement lié à la valeur de l’énergie. Sur le graphique ci-dessus, vous pouvez constater que si l’on compare l’évolution des prix de l’or et du pétrole en excluant les effets monétaires, ils suivent une trajectoire similaire. En réalité, l’or représente la forme financière la plus pure de la valeur de l’énergie. Du point de vue que nous défendons, la raison fondamentale est la suivante : étant donné que l’énergie est la ressource intemporelle ultime par rapport à d’autres, comme le sucre ou les pointes de flèches polies, mais qu’elle est difficile à stocker et à transporter, l’humanité s’est naturellement accordée sur un moyen détourné commun pour échanger et stocker l’énergie dans le cadre des transactions commerciales. Si l’on admet que l’or symbolise la valeur de la ressource « énergie », il devient alors logique que l’or soit la monnaie de confiance mondiale, car en réalité, l’or devient la monnaie-marchandise ultime. Et ce phénomène miraculeux découle des marchés financiers qui permettent d’établir cette connexion. C’est ce petit miracle de l’esprit humain qui définit véritablement la valeur de l’or. Par conséquent, une fois que l’on comprend que l’or n’est qu’une représentation sur les marchés financiers de la valeur de l’énergie et donc principalement du pétrole, on peut alors saisir que celui qui dispose d’un marché où l’on peut échanger de l’or et du pétrole contre des devises locales détient également le pouvoir de dévoiler les manipulations des prix de l’or et de toute devise qui lui est étroitement liée.

Pourquoi l’Occident manipule les prix de l’or ?

Vous pensez probablement au prix de l’or en dollars, car vous êtes nombreux à savoir que le marché de l’or en Occident est largement contrôlé par les États-Unis grâce à ce que l’on appelle l’or papier. Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas familiers avec ce concept, permettez-moi de vous l’expliquer. Sur les marchés de l’or, vous avez essentiellement trois options :

La première consiste à acheter de l’or physique et à le stocker chez vous, par exemple dans le coffre à bijoux familial.

La deuxième option est d’acheter de l’or physique, mais de le confier à des prestataires de services de garde réputés, dont le métier est de gérer des coffres sécurisés.

Enfin, la troisième option consiste tout simplement à acheter ce que l’on appelle de l’or papier, c’est-à-dire un produit dérivé qui vous expose à la valeur de l’or.

En théorie, toutes ces options sont équivalentes, car dans un monde idéal, tous les produits dérivés sont symétriques, fonctionnant comme un système d’assurance bien conçu. Cependant, en pratique, il y a deux choses à savoir.

Tout d’abord, le levier entre la quantité d’or réel et la quantité d’or papier varie généralement entre environ 20 fois (ce qui est à peu près normal) et 500 fois (ce qui semble beaucoup moins normal) en temps de crise. Deuxièmement, il faut savoir que ces produits dérivés, ces formes d’or papier, sont largement utilisés par les banques commerciales pour manipuler les prix de l’or. Ce n’est un secret pour personne. Il suffit de faire une recherche sur « manipulation du marché de l’or » sur Google pour trouver de nombreux articles traitant de procès en cours ou de condamnations déjà prononcées.

Ne soyez pas surpris, cela fait partie du jeu géopolitique. Les États-Unis ne peuvent pas se permettre de voir le prix de l’or s’envoler, car le monde sait que le prix de l’or est l’une des expressions de la valeur du dollar. Il est donc impératif que la hausse des prix de l’or, qui reflète la dévaluation progressive du dollar, ne soit pas trop brutale. Perdre 95% de la valeur du dollar sur un siècle peut être acceptable, mais le perdre de 50% en un mois serait inacceptable pour la stabilité du dollar.

Encore une fois, pour les acteurs avertis du secteur financier, cela n’est un secret pour personne.

Comment la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite siphonnent les ressources précieuses de l’occident grâce aux sanctions ?

C’est là que l’année 2022 vient tout bouleverser en raison des sanctions imposées par l’Occident à l’égard de la Russie. Voici ce qui se passe actuellement : en résumé, la Chine, la Russie et quelques pays alliés sont très probablement en train de transférer l’or de l’Occident.

Entrons dans les détails, nous le savons grâce au graphique ci-dessus qui montre que le prix de l’or se détache du prix des obligations en dollars, ce qui n’est pas normal. Voici comment la Chine, la Russie et les Émirats arabes unis s’y prennent. Bien sûr, lorsque je parle de « la Chine », il faut comprendre qu’elle opère par le biais de ses plus grandes banques commerciales. Commençons par la Russie, qui a besoin de rapatrier des liquidités sans passer par l’Occident. Certes, les Russes vendent du pétrole et du gaz, mais pas seulement, la Russie vend également de l’or. Et il y a actuellement une quantité importante d’or russe dans les coffres des Émirats arabes unis. C’est pourquoi les États-Unis ont récemment placé les grandes fonderies russes sur liste noire et vous allez comprendre pourquoi. En échange de cet or, les Russes reçoivent des dollars, mais aussi une part croissante de yuans, le tout provenant de la Chine, qui accumule beaucoup d’or.

Maintenant, examinons comment la Chine parvient à financer ces achats massifs d’or à moindre coût. Mettez-vous à la place d’une grande banque chinoise, qui agit comme un mandataire pour son gouvernement. Vous commencez à vendre à découvert du pétrole sur le marché américain pour faire baisser son prix par rapport à celui de l’or. Rappelons que les États-Unis disposent du premier marché pour échanger du pétrole contre de l’or. Une fois que le prix du pétrole américain baisse par rapport à l’or, vous achetez de l’or et vous le faites livrer à Londres, comme le permettent ces marchés. Une fois votre or à Londres, pour éviter tout risque de sanction, nos banques chinoises le rapatrient aux Émirats. Et nous savons que c’est bien la réalité, car les importations d’or aux Émirats ont explosé depuis la crise ukrainienne. On parle tout de même de 75 tonnes en 2022. Une fois que l’or chinois est aux Émirats, la Chine peut acheter du pétrole aux Russes avec une réduction par rapport au marché, car rappelez-vous que le pétrole russe se négocie environ 30% moins cher que le pétrole occidental. Ainsi, la Chine obtient du pétrole à un prix inférieur, ce qui est opportun, car de l’autre côté, aux États-Unis, elle a vendu du pétrole à découvert et est endettée en pétrole. Par conséquent, dans cette opération, elle peut utiliser 70% de son achat à la Russie pour rembourser intégralement sa position aux États-Unis, et elle conserve 30% de cette transaction en or, soit dans ses coffres, soit aux Émirats. Au passage, elle dissémine des yuans à travers le monde non occidental, ce qui lui permet de progressivement internationaliser sa monnaie. Et voilà, vous pouvez recommencer le cycle. Lorsque l’on considère cela du point de vue chinois, c’est très intéressant, car les sanctions occidentales permettent de conserver un pétrole russe moins cher par rapport au pétrole des marchés occidentaux. En d’autres termes, les sanctions occidentales sont en train d’enrichir les Émirats, qui prennent leur part de ce business, mais elles permettent également à la Chine de transférer l’or physique détenu sur les marchés occidentaux. De plus, à mesure que la Chine augmente rapidement ses stocks d’or, cela lui permet également de progressivement faire comprendre que le yuan est objectivement adossé à de l’or physique, dont l’origine est évidente pour tous. Maintenant, vous comprenez pourquoi les États-Unis ont placé les fonderies d’or russes sur liste noire. Ils ont réalisé qu’il était urgent de rompre ce circuit en empêchant une partie de l’or russe de circuler. Je ne pense pas que cela fonctionnera, mais je comprends pourquoi ils essaient tout de même. C’est pourquoi, avec Didier DARCET, nous cherchons les meilleures façons de vous permettre d’internationaliser votre épargne, car nous pensons que c’est une clé pour espérer gagner de l’argent dans la décennie en cours. C’est pour cette raison que dans la lettre d’investissement de ce mois-ci, Didier Darcet a réalisé un dossier sur les actions. Faut-il en avoir ? Si vous en possédez, faut-il les conserver, et le plus important, où faut-il avoir des actions aujourd’hui ? Pour ma part, le mois dernier, je vous ai présenté un dossier sur le private equity accessible aux particuliers, car je suis convaincu que c’est une bonne piste à explorer pour valoriser son patrimoine en investissant dans de vraies entreprises offrant de bons rendements. Ce mois-ci, je prépare un dossier sur l’immobilier, à la lumière des dernières annonces en France où les aides pourraient diminuer, ce qui a de fortes chances de faire baisser les prix de l’immobilier, ainsi que les recettes fiscales. En résumé, que faire dans cette situation ? Est-ce risqué pour vous, et où investir dans l’immobilier ? D’autant plus qu’avec la décision de l’OPEP de défendre un prix plancher du pétrole à 80 $, cela aura une influence sur vos choix immobiliers.

La bombe à retardement de l’or papier

Revenons à présent à l’évocation du système de transfert de l’or de l’Occident vers les BRICS. Il convient de souligner qu’il existe un second effet qui se dessine ! Ce manège s’arrêtera au moment où l’Occident manquera d’or physique à livrer. À ce moment-là, nous verrons si tout l’or papier qui est promis dans les produits dérivés existe réellement. Le problème avec l’or papier est que, en théorie, tout est bien collatéralisé dans les bonnes proportions, mais comme nous savons qu’il y a des manipulations, un manque trop important d’or physique pourrait révéler des failles dans le système. C’est un peu la même logique que la crise des subprimes. C’est lorsque la crise a commencé que l’on s’est rendu compte que les agences de notation avaient mal fait leur travail, voire étaient corrompues, et que tous les contrats conclus sur la base des notes données par les agences étaient potentiellement compromis. Mais nous pouvons également penser au déficit américain, qui est abyssal et structurel. Que se passera-t-il le jour où le Marché se rendra compte que le roi est nu ? En somme, nous assistons, une fois de plus, à un transfert incroyable de richesse financière entre l’Occident et les BRICS. Le plus remarquable dans tout cela, c’est que c’est aussi absurde et inutile que la guerre en Ukraine.

Le transfert de richesse de l’occident vers les BRICS

En ce qui concerne les sanctions de manière générale et pragmatique, soit vous confrontez un État isolé et vous condamnez sa population à un retour à l’âge de pierre, soit ce pays dispose d’un réseau de pays partenaires autour de lui, créant ainsi un écart de prix que les acteurs majeurs sauront exploiter. C’est exactement ce qui se passe avec la Chine, la Russie et les Émirats, qui en tirent profit. Prenons un dernier exemple à plus petite échelle : c’est grâce aux sanctions que l’Iran a réussi à obtenir à bas prix deux Airbus A340. Au lieu de vendre directement ces avions à l’Iran, sous le coup des sanctions, des intermédiaires ont pris leur commission et l’Iran a quand même obtenu ses Airbus.

Si vous souhaitez comprendre comment les relations entre la Russie, la Chine, les Émirats et d’autres pays qui défient les États-Unis s’articulent, je vous recommande de regarder la vidéo ci-dessus.

Richard Détente