Un des grands débats sur les cryptomonnaies est de savoir si Bitcoin peut être le protocole qui aura réponse à tout, ou s’il est nécessaire de créer d’autres cryptos, comme Ethereum, qui essaient de développer des fonctionnalités intelligentes dont Bitcoin manque encore cruellement. Pour comprendre ce débat, il faut connaître les principes de base des cryptomonnaies. Dans cet article, je vais tenter de partager avec vous ma compréhension sur la tokenisation de l’économie, et pourquoi ce qu’on appelle l’internet de la valeur est réellement révolutionnaire.
Bitcoin a inventé l’internet de la valeur
Internet a dématérialisé l’information, accéléré sa transmission et son traitement, mais Internet n’a pas dématérialisé les actifs. Les actifs numériques sont la grande invention de l’univers des cryptomonnaies, Bitcoin en tête. Bitcoin a inventé l’unicité sur Internet. Pour que vous ayez un bitcoin, il faut qu’il soit réellement unique, comme un objet que quelqu’un d’autre vous donne pour que vous puissiez le posséder.
On pourrait s’arrêter là pour parler des cryptomonnaies, qui consistent en des unités numériques échangeables grâce à diverses technologies comme le chiffrement et la blockchain. Mais s’arrêter là vous empêcherait de voir 90 % des technologies révolutionnaires de ce que l’on appelle de façon réductrice les cryptomonnaies. En réalité, l’aventure va bien au-delà, et pour le comprendre, je parlerai plutôt de « tokenisation décentralisée de l’économie ».
Tokenisation de l’économie : définition
Tokeniser signifie créer des unités numériques dont le comportement peut être programmé. La programmation des tokens se fait par la technologie des smart contracts, ou contrats intelligents en français. Ce sont des programmes qui définissent le comportement d’un token en fonction d’événements précis.
Un token a également besoin d’être sécurisé pour qu’il ne soit pas copiable ou corrompu. Ces défenses sont bâties sur deux technologies :
- Le système de chiffrement par clef publique et clef privée, qui permet de garantir à l’utilisateur que personne d’autre ne peut utiliser ses tokens.
- La technologie du minage ou équivalent, qui consiste à sécuriser l’historique des échanges.
Par conséquent, un token à une nature, un comportement et des défenses immunitaires. Vous ne pouvez pas avoir un token s’il manque l’une de ces trois caractéristiques.
La finance décentralisée grâce à la tokenisation de l’économie
Ensuite, il faut intégrer le concept essentiel de décentralisation. Pour décentraliser un token, vous avez besoin d’une blockchain. Mais attention, une blockchain peut tout à fait être aussi centralisée. C’est pour cela que je préfère parler de token décentralisé plutôt que de blockchain. Cela permet aussi de comprendre que créer une blockchain, sans token, n’a beaucoup d’intérêt. Pour dire cela autrement, parler des avantages d’une blockchain qui ne contiendrait pas de cryptomonnaies n’a pas vraiment de sens. Du moins, cela s’appelle une base de données plutôt classique mais lourde à gérer.
Dès lors que vous avez compris ce qu’est un token décentralisé, vous avez compris ce que cherche à faire toutes les cryptomonnaies : le meilleur token décentralisé possible. Et là, les développeurs se heurtent aux problèmes synthétisés dans le triangle d’exclusion de Vitalik Buterin (Buterin est le créateur d’Ethereum, soit la deuxième cryptomonnaie au monde).
Le trilemme des blockchains
On appelle triangle d’exclusion l’incompatibilité entre trois critères que l’on cherche à réunir. Dès lors que vous privilégiez 2 des 3 critères vous excluez le 3e.
Ce triangle nous dit que l’on ne peut pas avoir un token décentralisé qui est à la fois extensible (c’est-à-dire qui peut traiter un très grand nombre de transactions), sécurisé et décentralisé.
Par exemple, Bitcoin est tout à fait décentralisé et réputé être le plus sécurisé des tokens, mais pour ces deux raisons, il a toutes les peines du monde à monter en charge sur le nombre de transaction traitées. Bitcoin est donc pur, d’un point de vue technique, mais il ne peut pas vraiment être extensible, soit mis en œuvre à très grande échelle.
Ethereum quant à lui devient de plus en plus scalable (extensible), et il est très sécurisé. En contrepartie, il n’est pas complètement décentralisé puisque Ethereum est piloté par une fondation, avec à sa tête son fondateur, Vitalik Buterin. Ethereum est potentiellement bien plus extensible que Bitcoin, mais son manque de décentralisation ne permet pas de l’envisager comme une réponse satisfaisante au besoin d’une gouvernance démocratique décentralisée. D’où l’impression de devoir choisir entre l’idéal et le possible.
Ainsi, Bitcoin ne peut pas être programmable pour l’instant, car sa puissance de traitement est faible. C’est là qu’Ethereum a une grande avance, car son protocole permet de créer une infinité de tokens programmables et sécurisés, même si la décentralisation vient à manquer.
C’est le problème posé par ce triangle d’exclusion que la grande majorité des cryptomonnaies cherchent à résoudre.
Alors d’accord, mais pourquoi faire ? Eh bien pour créer de la valeur sur Internet.
La blockchain décentralisée : comprendre son fonctionnement
Que l’on tente d’interdire Bitcoin ou non, que telle ou telle crypto disparaisse au profit d’une autre, fondamentalement, la grande innovation du monde de la cryptomonnaie est la décentralisation du pouvoir. Car, au fond, c’est ce que nous recherchons tous, même si nous ne nous en rendons pas forcément compte. Nous pensons et vivons dans des structures hiérarchiques, y compris lorsque cette hiérarchie est aplanie, voire invisible. Décentraliser ne veut pas dire supprimer les échelons, mais plutôt déstructurer pour réorganiser différemment.
Alors voyons ce que cela signifie si on essaie d’imaginer un monde financier décentralisé. Naturellement, nous retomberons sur les grandes idées que des milliers de cryptomonnaies tentent de mettre en évidence.
Dans le monde financier actuel, tout part d’un titre de propriété authentifié. Que ce soit la propriété d’une action, d’une obligation ou d’un billet, derrière chacun de ces actifs se trouve une banque, une entreprise ou autre. Et au sommet de cette pyramide se trouve le tiers de confiance ultime : l’État. Si je me retrouve tout nu dehors et amnésique, c’est l’État, via ses forces de police, qui sera légitime et capable de me restituer mon identité et mes biens.
Dans l’univers des cryptos, la décentralisation signifie qu’il n’y plus de tiers de confiance. Savoir qui possède quoi est le rôle de la blockchain. L’information est répliquée chez tout le monde et elle est sécurisée par des outils de signature cryptographique, puis par un système de validation par preuve pour ajouter une information sur le réseau.
La preuve de travail est basée sur la consommation d’énergie. La preuve d’enjeu, elle, est basée sur un système de mise, où l’on joue sa peau. Si vous mentez, vous perdez une parti de vos actifs et si vous dites la vérité sur la nature des nouvelles transactions, vous êtes récompensé. Il y a d’autres systèmes de preuves qui sont en cours de test à grande échelle, comme la preuve historique du réseau Solana. Mais ne nous attardons pas là-dessus.
Un actif décentralisé se trouve donc dans un système où l’information est partout, et avec une sécurité en deux étapes : sécurisation de l’historique des transactions puis sécurisation des nouvelles informations.
Les cryptomonnaies sont un nouveau mode d’organisation sociale
Le code informatique : la nouvelle loi
Une fois que l’on aura résolu le problème du triangle d’exclusion des tokens décentralisés, c’est la structure même de la société qui pourra se réorganiser en réseau.
Étant donné que le comportement de chaque actif est programmable et sécurisé, alors vous n’avez plus besoin d’un État tel que nous le connaissons. C’est un peu le rêve anarchiste et libéral qui se rejoignent. Chacun fait ce qu’il a faire, non pas car il est bon et généreux, mais parce qu’il est contraint par les règles du groupe.
Vous pouvez librement accepter d’être dans le groupe ou à l’extérieur du groupe, mais si vous êtes dans le groupe, vous ne pouvez pas transiger avec ses règles.
En réalité, les cryptomonnaies, que je préfère appeler des tokens décentralisés, ont pour ambition d’organiser les relations dans une société sans chef. La violence légitime, habituellement dans les mains de l’État, se retrouve dans du code informatique. Le code, c’est la loi. Il s’agit de désintermédiation à son plus haut niveau.
Est-ce que c’est un monde parfait ? Certainement pas. Par contre, il s’agit probablement d’un monde bien plus adapté pour résoudre des problèmes liés à des actifs numériques à un niveau élevé de circulation de l’information.
Cryptomonnaies et mode de gouvernance en réseau
Il se pourrait que nous soyons aux balbutiements de la transformation de nos sociétés. Avec la tokenisation de l’économie, nous pourrions basculer d’un système de relations sociales hiérarchisées vers un système de sociétés organisées en réseaux.
C’est pour cela que le terme de cryptomonnaie est trompeur. Il ne s’agit pas d’une réinvention de la monnaie, mais plutôt de notre relation aux autres. Si l’on fait cet amalgame avec la seule monnaie, c’est bien parce que la monnaie est le moyen privilégié pour échanger dans les transactions. Pourtant, si je ne me trompe pas, les tokens décentralisés permettent de répondre au problème du règlement des conventions sociales, mais aussi de la propriété, ou encore du besoin de justice pour assurer la coopération au sein d’un système complexe. La détention de la plupart de ces tokens décentralisées offre des droits de votes sur la gouvernance de ce projet. Il ne s’agit pas uniquement de monnaies mais bien d’un nouveau mode d’organisation.
En conclusion, au-delà de l’agitation et de la spéculation sur les différentes cryptomonnaies, avec la tokenisation de l’économie, nous parlons peut être bien d’une révolution copernicienne de l’organisation de nos sociétés.
Richard Détente
Pour en savoir plus sur le fonctionnement du bitcoin et les possibilités qu’il offre à l’avenir, cliquez sur la vidéo !