Le samedi 8 avril 2023, la Chine a lancé des manœuvres militaires sur une durée de trois jours autour de l’île de Taïwan. Pour être plus précis, l’armée chinoise a simulé un blocus de Taïwan ainsi que des attaques sur des infrastructures stratégiques. Si cette manœuvre semble agressive, cela est tout à fait justifié pour deux raisons importantes.
Premièrement, la Chine souhaitait envoyer un message clair à la présidente de Taïwan qui était en visite aux États-Unis pour rencontrer le président de la Chambre des Représentants. La présidente taïwanaise était consciente que cette visite susciterait l’ire de Pékin, elle a donc pris toutes les précautions médiatiques pour expliquer qu’il ne s’agissait que d’une visite courtoise sans arrière-pensée politique. Cependant, le président chinois n’a pas souscrit à ses subtilités de communication.
Deuxièmement, la nature même de ces manœuvres militaires démontre l’agressivité de la Chine. Normalement, pour faire pression sur un pays, il suffit d’afficher des bateaux militaires le long de la frontière et le message passe. Cependant, cette situation était très différente car la Chine a simulé un blocus et des frappes ciblées sur des objectifs stratégiques. Autrement dit, la Chine a exposé un scénario crédible d’attaque. Le message est clair : non seulement nous vous menaçons, mais nous travaillons activement sur la planification de l’attaque. Cette menace supplémentaire est très forte.
Que peut-on apprendre de ces manœuvres ? Nous pouvons en tirer deux enseignements importants. Tout d’abord, la Chine ne reculera devant rien pour faire passer son message. Ensuite, la menace est crédible et réelle, car la Chine travaille activement sur la planification d’une attaque.
Blocus vs invasion
Organiser un blocus pourrait signifier que la Chine est consciente que Taïwan est une forteresse, que les Taïwanais craignent une attaque chinoise depuis longtemps et que l’imposition d’un blocus viserait à les étouffer plutôt qu’à les envahir. Étant donné que Taïwan est une île, il est stratégiquement plus facile de couper les flux entrants et sortants. En termes de conséquences, les États-Unis et leurs alliés se trouveraient dans une position moins tranchée qu’en cas d’invasion frontale, car lors d’un blocus, il y a du temps pour la discussion, alors qu’une invasion exige une réaction très rapide pour équilibrer les forces. Si l’on prend l’exemple de l’Ukraine, on peut voir que les Russes ont pris beaucoup de territoire en quelques semaines et que depuis, la ligne de front est solidifiée. À la différence de l’invasion russe qui a surpris les Européens, l’armée américaine surveille Taïwan de près, ce qui signifie qu’une invasion aurait de bonnes chances de déclencher une réponse militaire américaine tout aussi rapide, ce qui serait catastrophique. En revanche, en cas de blocus, cela signifie qu’il n’y a pas d’urgence à l’échelle de la semaine. Une telle stratégie pourrait donc fragmenter le front occidental contre la Chine. Que faire ? Faut-il exercer uniquement une pression diplomatique ? Faut-il lancer une première attaque contre l’armée chinoise ? Ce n’est pas si simple. La situation pourrait donc rester tendue pendant un certain temps. Cela nous amène tout de suite à la question suivante : que se passerait-il si Taïwan était paralysée ?
L’importance stratégique de Taïwan pour les USA
En considérant que la guerre est essentiellement la confrontation de deux systèmes économiques productifs, il est pertinent d’examiner la balance commerciale de Taïwan.
Premièrement, le graphique ci-dessus indique que la balance commerciale entre les États-Unis et Taïwan est déficitaire pour les États-Unis, qui ont importé des marchandises d’une valeur de 77 milliards de dollars de Taïwan en 2021, tandis que leurs exportations vers Taïwan se sont chiffrées à seulement 37 milliards de dollars. En termes de volume, Taïwan ne représente qu’une petite part des importations américaines, qui s’élèvent à environ 2 500 milliards de dollars.
Alors, pourquoi les États-Unis accordent-ils tant d’importance à cette petite île proche de la Chine ? En fin de compte, il s’agit avant tout d’un enjeu de domination. Les États-Unis et la Chine représentent chacun environ 20% du PIB mondial. Si la Chine devient effectivement le leader économique et politique de l’Asie, ainsi qu’une force stabilisatrice pour la région du Moyen-Orient et pour la Russie en prime, la suprématie américaine sera mise à mal. Cette grande région, qui laisse l’Europe de côté, possédera à la fois les ressources énergétiques nécessaires et les outils industriels pour produire sa propre richesse. C’est exactement ce que Zbigniew Brzezinski ne voulait pas que les États-Unis réalisent. Pour rappel, Zbigniew Brzezinski est l’un des penseurs clés de la géostratégie américaine et dans son livre Le Grand Échiquier, il donne des directives très claires pour que les États-Unis divisent le monde au bon endroit afin de préserver leur puissance. Clairement, une Chine dominante en Asie, qui serait également un point de référence pour régler les conflits au Moyen-Orient et qui serait alliée de la Russie, doit à tout prix être évitée. Toutefois, ce livre ayant été écrit après la guerre froide, Zbigniew Brzezinski n’imaginait pas que l’Iran et la Russie pourraient devenir des alliés de la Chine dans le cadre d’une diplomatie chinoise. C’est à ce moment-là qu’il faut prendre conscience du rôle majeur transformateur de la guerre en Ukraine, qui a considérablement accéléré le rapprochement entre la Russie et la Chine, au point que Poutine évoque la possibilité d’une alliance sino-russe. Il y a quelques années seulement, l’idée que les Chinois puissent être les architectes d’un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran était de la pure science-fiction, mais aujourd’hui, c’est officiellement en cours. À ce stade, on comprend pourquoi les États-Unis ne sont pas très enthousiastes à l’idée de voir Taïwan, qui est plutôt pro-américain, tomber sous la coupe de la Chine.
Le cas précédent : Hong-Kong
Je vous rappelle que la République populaire de Chine a effectivement rétabli son autorité sur Hong Kong pendant l’été 2019. À l’époque, les citoyens de Hong Kong ont protesté contre une loi imposée par la Chine qui permettait l’extradition de justiciables chinois de Hong Kong vers la Chine continentale, ce qui signifie concrètement que les lois chinoises sont désormais applicables à Hong Kong, puisque les autorités chinoises ont les moyens de les faire respecter. L’arrestation de l’activiste des droits de l’homme Mamie Wong constitue un symbole de la fin de l’indépendance objective de Hong Kong par rapport à la Chine continentale.
L’usine de l’Occident pour les semi-conducteurs
Taïwan constitue également un enjeu majeur pour nos économies occidentales, étant donné qu’elle est l’usine de l’Occident pour les semi-conducteurs de pointe. Au niveau mondial, la production de Taïwan est loin d’être négligeable, mais en outre, Taïwan constitue un goulot d’étranglement dans les chaînes de production de ces semi-conducteurs de pointe, car leur production à l’échelle mondiale n’est pas locale, mais bien transnationale. Autrement dit, Taïwan représente 65% du marché mondial des fonderies de semi-conducteurs et 92% de la production des puces de dernière génération. Cette situation est prise très au sérieux en Occident, car bloquer Taïwan reviendrait à bloquer l’essentiel de l’industrie de pointe de l’Occident. Et lorsque je parle d’industrie de pointe, je ne fais pas seulement référence aux fusées d’Elon Musk, mais également au marché de l’automobile, des smartphones et autres appareils électroniques, ainsi qu’au marché des serveurs informatiques utilisés par toutes les entreprises.
Taïwan : un problème seulement occidental
Je mentionne que cela ne ferait pas rigoler l’Occident, car de nombreux pays d’Asie, du Moyen-Orient et la Russie souffriront beaucoup moins d’une pénurie de semi-conducteurs de pointe, pour une raison simple : les sanctions infligées par l’Occident (en particulier les États-Unis) les ont déjà largement privés de ces composants. Les sanctions ont commencé à peser sur la Chine depuis les affaires d’espionnage avec Huawei en 2019. La Russie, quant à elle, n’a plus d’accès aux semi-conducteurs de pointe depuis la guerre en Ukraine, et la Chine lui envoie désormais des semi-conducteurs plus basiques mais suffisants pour des équipements moins sophistiqués. C’est là que tout se joue : si la Chine met en place un blocus sur Taïwan et coupe les approvisionnements en semi-conducteurs de haute qualité à l’Occident, nous aurons de gros problèmes de chaîne logistique avec des pénuries importantes. En revanche, du côté de la Chine, qui a déjà subi des chocs sur ses composants depuis quelques années, elle a commencé à s’adapter et souffrira donc beaucoup moins que nous. Par conséquent, ces manœuvres militaires, qui laissent planer la menace d’un blocus, vont bien au-delà de la simple pression politique : il s’agit d’une menace économique très forte.
La lettre stratégie Grand Angle
Je me dois de souligner l’importance de deux actions à envisager de façon urgente. Tout d’abord, il est crucial de mondialiser intelligemment votre épargne, étant donné que les rémunérations deviendront de plus en plus complexes à obtenir. Ensuite, il est impératif de réfléchir à votre résilience professionnelle. Si vous êtes fonctionnaire ou retraité en Europe, les années à venir risquent d’être compliquées. En revanche, si vous êtes un travailleur utile aux autres, un ouvrier ou un entrepreneur, avec un métier solide, vous pourrez globalement vous en sortir.
C’est pourquoi Didier Darcet et moi-même corédigeons la lettre stratégie Grand Angle, dans laquelle nous proposons un cadre macroéconomique pour accompagner votre portefeuille, suivi par Didier Darcet. Pour ma part, j’écris des dossiers pratiques pour investir dans des placements ciblés, afin de vous donner des moyens concrets pour vous débancariser en toute légalité, sans déclencher toutes les alertes de votre banque et ainsi limiter les risques. Par exemple, dans la lettre de ce mois-ci, j’explique comment se débancariser proprement et légalement, en minimisant les impacts négatifs.
Russie-Chine: la pression sur les coûts du pétrole
En matière de pression exercée sur l’Occident, j’ai l’intuition que la Chine et la Russie disposent également d’un atout potentiellement très important. Si ces deux pays s’accordent sur un prix à long terme pour le pétrole afin de stabiliser leurs économies, cela pourrait retirer du marché mondial une quantité importante de volume, ce qui se traduirait par une baisse structurelle des volumes échangés quotidiennement sur les marchés. Bien que cela puisse sembler complexe, en réalité, cela est assez simple. Le problème est que les volumes disponibles dans le monde restent les mêmes, il n’est donc pas possible de produire plus de pétrole. Si la Chine et la Russie retirent par exemple 10 millions de barils par jour pour les échanger entre eux, cela signifie que la volatilité du marché du pétrole augmentera. Les variations de la demande buteront plus rapidement sur le plafond de l’offre, qui est réduit, entraînant ainsi des fluctuations économiques plus importantes pour les systèmes occidentaux et moins de création de richesse.
En outre, la Russie, la Chine et l’Arabie Saoudite pourraient accaparer le pétrole à bas coût, puis laisser les prix varier en fonction des coûts de production les plus élevés, notamment pour l’Union européenne. En d’autres termes, la Chine et la Russie pourraient avoir conclu un accord qui laisse l’Occident, et plus précisément l’Europe, subir les affres de la décroissance des ressources en hydrocarbures. Toutefois, il convient de souligner qu’il s’agit pour le moment d’une intuition, car il n’y a pas encore suffisamment de preuves de chutes significatives des volumes sur les marchés mondiaux.
En revanche, lorsque je constate que l’OPEP+ (principalement l’Arabie Saoudite, si l’on exclut la Russie qui s’y joint en baissant les quotas de production de pétrole) prend des mesures qui mettent en péril les économies des acheteurs de pétrole, je ne peux m’empêcher de penser que cela ne serait pas possible si la Chine en souffrait également.
La fin des pétrodollars
La fin des pétrodollars et l’émergence de nouvelles alliances en Asie et en Orient pourraient marquer le début d’une ère où les prix du pétrole deviendraient une arme géostratégique, cette fois contre l’Occident. Si cette prédiction s’avère exacte, cela pourrait entraîner des conséquences difficiles à vivre pour les économies de l’Union européenne, qui seraient les variables d’ajustement au profit de la Chine, de l’Arabie Saoudite, de la Suisse et d’autres pays.
Si vous avez du mal à appréhender l’ampleur des changements en cours dans le monde, je vous invite à visionner l’interview que j’ai réalisée avec Didier Darcet à son retour du forum annuel d’Al Jazeera au Qatar, où les pays du monde, à l’exception de l’Occident, se réunissent pour échanger leur vision de l’avenir. Cette vidéo a déjà été visionnée plus de 500 000 fois à ce jour et vous comprendrez pourquoi en la regardant.
Richard Détente