Depuis les dernières avancées de l’armée ukrainienne avec la prise de Kherson par les Ukrainiens mi-novembre, la ligne de front semble stabiliser le long du fleuve Dniepr.
Aujourd’hui, la mer d’Azov est devenue une mer intérieure à la Russie, et la Crimée a rejoint la Russie avec une bande de terre large d’environ 100 km.
En ce qui concerne la guerre, la stratégie russe est claire, elle souhaite renvoyer l’Ukraine à l’âge de pierre en détruisant ses infrastructures de production d’énergie. C’est un coup dur pour l’Ukraine, qui a un besoin vital d’énergie, dans un premier temps pour sauver ses habitants du froid, et dans un second temps pour espérer un jour envisager la reconstruction du tissu économique du pays.
C’est également un coup dur pour l’Union européenne, car l’Ukraine a un besoin immédiat et vital de 2 milliards de m3 de gaz pour passer l’hiver, mais aussi d’électricité, au moment où l’Europe envisage des blackouts pour ses propres populations.
Dans ce contexte, la Russie semble avoir le dessus sur le conflit, puisque son territoire n’est globalement pas en danger, malgré quelques frayeurs à cause des missiles de la DCA ukrainienne, qui sont tombés en Pologne, ou quelques attaques de drones Ukrainiens sur le sol russe.
Ces considérations donnent le vertige, car le spectre de la guerre nucléaire plane au-dessus de ce conflit. Pourtant, si les dirigeants Ukrainiens appellent souvent à une escalade de ce conflit, car pour eux le risque est existentiel, nous pouvons tout de même nous rassurer un peu en espérant que les USA veulent bien prendre le risque de la destruction de l’Ukraine, mais certainement pas de leur propre pays. Il est vrai que la situation n’a pas été aussi tendue depuis la fin de la guerre froide.
Impact sur l’économie russe
Après avoir contextualisé la scène européenne sur ce conflit, voyons les impacts sur le monde.
Commençons par la Russie : sa position est très difficile à tenir, mais elle a potentiellement une sortie. Si le rouble tient remarquablement bien et que l’inflation reste sous contrôle à environ 11% en novembre, ce qui est comparable à la zone euro, son économie est en souffrance. La Russie est en récession de 4% au troisième trimestre 2022. Ce n’est pas dramatique pour un pays en guerre, mais cela signifie que la population souffre de ce conflit.
De nombreuses entreprises étrangères quittent la Russie sous la pression des sanctions, au point que Moscou menace de nationaliser les entreprises étrangères qui auraient des velléités pour partir. Les ressources financières de la Russie sont préservées grâce à ses ventes d’hydrocarbures, ce qui lui donne les moyens de telles politiques. Cela signifie que la Russie est en pleine restructuration économique, afin de remodeler ces alliances avec des pays que le conflit ukrainien ne gêne pas plus que cela. La Chine, l’Inde, l’Iran et autres pays en développement qui n’ont pas forcément été considérés à leur juste valeur par les pays occidentaux, sont les nouveaux alliés naturels de la Russie.
Le principal risque pour la Russie est le temps nécessaire pour se réorganiser. De son point de vue, il lui est nécessaire de tenir sur le plan militaire et économique, tant que ces nouvelles filières commerciales ne sont pas présentes en quantité suffisante pour remplacer la production qui était fournie par les Occidentaux. Par contre, tant que son armée tient, le temps joue aussi pour elle, car à chaque mois qui passe, elle devient plus autonome par rapport à l’Union européenne. Elle dispose d’une porte de sortie, mais les risques sont élevés dans cette période de guerre où tout est possible.
Le sacrifice économique de l’Union européenne
En ce qui concerne l’Union européenne, chaque jour qui passe semble la désigner comme une zone économique vulnérable dans ce conflit international. Son principal point faible demeure l’énergie, tant en termes de quantité que de prix.
Sur le plan des quantités disponibles, il faut comprendre que les chaînes d’approvisionnement avec la Russie étaient optimisées pour servir l’Europe. Il n’y a pas de moyen de transport moins cher que les gazoducs pour transporter le gaz. Cela faisait de l’Europe le client privilégié de la Russie, car tout le monde y trouvait son compte. Les entreprises russes avaient investi des milliards dans les gazoducs Nord Stream, ce qui les incitait à fournir le plus de gaz possible à l’Europe, pour rentabiliser ces infrastructures.
Avec la destruction des gazoducs Nord Stream, c’est l’incitation à privilégier des livraisons en Europe qui est atteinte en premier lieu. Si la livraison se fait par méthanier, la destination est bien moins importante, car le bateau ira où vous voudrez. Pire que cela, la Russie est en train de bâtir des gazoducs vers l’Inde, la Turquie et la Chine. Les incitations à livrer du gaz vont naturellement aller vers ces pays, aux dépens de l’Europe.
En termes de prix, l’Europe va devoir se battre pour obtenir des hydrocarbures ailleurs et ce gaz sera nécessairement plus cher. En conséquence de quoi, on voit que les plans de délocalisation industrielle se multiplient dans l’Union européenne.
USA : Pile je gagne, face tu perds
Le plus cynique c’est que les USA sont l’une des zones majeures de délocalisation pour les entreprises de l’Union européenne. C’est cynique, car dans le conflit Russo-ukrainien, c’est bien Washington qui se met en face de Moscou. Les Européens n’ont pas les moyens techniques pour supporter l’Ukraine dans sa guerre face à la Russie, et c’est avec Joe Biden que Poutine veut négocier.
Les USA comptent gagner sur les deux tableaux. Si le monde ne passe pas par le feu nucléaire entre temps, les Américains verraient bien une défaite russe financée à peu de frais et sans mort de leur côté, en remportant de nombreuses industries européennes. C’est pour cela que je parle de cynisme, mais comme disait Charles de Gaulle : « les États n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts ».
Union européenne : Plafonnement des prix du gaz
Pour l’Union européenne, la décision de plafonner les prix du pétrole russe à 60 dollars relève des choses complètement absurdes. Cette décision consiste à mettre la pression sur les transporteurs de pétrole, or la Russie qui a anticipé cette fragilité dans sa logistique a déjà commencé à constituer sa propre flotte et elle serait en train de finaliser la question des assurances nécessaires pour le fret maritime.
L’Union européenne est dans une situation périlleuse. En s’empêchant elle-même d’acheter à la Russie, elle se retrouve dans l’obligation d’acheter du pétrole à d’autres pays, comme l’Inde ou la Chine qui s’approvisionne en Russie.
Ce qui effraie les USA
En ce moment, ce qui inquiète réellement les USA c’est la récession qui pointe le bout de son nez. D’ailleurs, l’inflation s’affiche en retrait pour novembre 2022 à 7,1%, soit seulement 0,1% de plus qu’en octobre, ce qui laisse supposer que l’on arrive sur un plateau et que la poussée inflationniste pourrait s’arrêter. Le problème c’est qu’une inflation qui ralentit peut signifier que l’économie rentre en récession, d’ailleurs, c’était le but de la hausse des taux : détruire suffisamment d’offres sur le marché, et par conséquent, faire couler des entreprises qui ne sont pas capables de se refinancer, afin de vaincre l’inflation.
Est-ce que ce sera suffisant ? Est-ce que les USA vont réussir leur « soft landing » ? à savoir monter les taux, pour faire baisser la croissance et l’inflation, sans rentrer en récession.
Comme me le disait Charles Gave : « réussir un « soft-landing » serait une première dans l’histoire économique ».
Dans notre lettre d’investissement que je corédige avec Didier Darcet, nous comptons bien profiter de ce rebond des marchés. La remontée de l’or profite à notre portefeuille du rentier, tandis que le portefeuille du tacticien proposera de saisir les opportunités qui se présentent sur ce rebond.
La réouverture de la Chine
Au-delà de la potentielle récession aux USA, c’est la Chine qui surprend, car elle semble bien vouloir ouvrir à nouveau son économie, en s’éloignant progressivement des mesures anti-covid les plus dures qu’elle s’inflige. C’est peut-être cette réouverture de la Chine qui pourrait expliquer de façon raisonnable la hausse des marchés.
Si l’industrie se remet en marche, cela pourrait pousser fort, sachant que les USA ralentissent. On verra bien quel facteur arrive à faire pencher la balance dans quelque temps.
On ne risque pas de s’ennuyer dans les semaines qui viennent avec ce mélange géopolitique très hétéroclite, le pétrole baisse, ce qui est un signe de ralentissement économique, tandis que les prix des matières premières, comme le cuivre, le nickel monte ce qui est un signe de croissance économique, pendant que la bourse chinoise repart fort ces dernières semaines.
Il est difficile d’expliquer tout cela, sans comprendre les tiraillements que subit le monde dans un sens et dans l’autre.
Si vous avez aimé cet article, je vous invite à découvrir l’article « Commerce mondial en péril » qui explore un sujet complémentaire et passionnant.
Richard Détente