Pourquoi annuler la dette de la BCE n’a aucun sens

23 juin 2021

Le 5 février 2021, Thomas Piketty et une centaine d’économistes européens demandent dans une lettre ouverte que la dette détenue par la BCE soit annulée. Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, leur répond par la négative quelques jours plus tard. Le monde médiatique européen s’agite… Mais l’annulation de cette dette a-t-elle seulement un sens puisqu’on la doit à soi-même ? 

Dans la seconde partie de leur requête, ces économistes expliquent qu’il faut investir dans l’écologie, mais le montant de cette dépense équivaut à peu près à celui de la dette à annuler. Dès lors, un nouvel endettement surviendrait. Alors comment trouverait-on l’argent nécessaire : sur les marchés, auprès de notre population, de la BCE ou d’investisseurs étrangers ? Éclaircissons les choses.

Le système bancaire dans la zone euro

Le fonctionnement de la BCE

La Banque centrale européenne (BCE) est en réalité une filiale des banques centrales nationales. Chacune d’entre elles en détient une partie au prorata de son importance en Europe. Dès lors, il faut bien comprendre que le conseil des gouverneurs de ces institutions dirige la BCE, et non l’inverse.

Prenons un exemple. Lorsque la BCE achète de la dette française, celle-ci se trouve bien dans les comptes de la Banque de France. En effet, les banques centrales nationales consolident les comptes de la BCE, elle n’en possède pas elle-même. En résumé, la France achète sa propre dette selon une décision collective de l’ensemble des organismes bancaires nationaux européens.

Annuler la dette détenue par la BCE ? Pas si simple et surtout pas si efficace
Débat à Francfort, où se trouve le siège de la Banque centrale européenne. L’annulation de la dette a-t-elle un sens ? © Pixabay

Mécanique de la dette française

Quelle est donc la situation actuelle ? La Banque de France a imprimé de l’argent afin de financer l’endettement du gouvernement français, dû aux mesures anti-COVID. Cela, avec l’aval des autres banques centrales membres de l’Eurosystème !

Gardons à l’esprit que la Banque de France est une administration française. Ainsi, les intérêts qu’elle perçoit des dettes deviennent des recettes pour elle. Ces intérêts intègrent à la fin de l’année les comptes nationaux. Dès lors, lorsque le gouvernement paie 10 milliards d’euros d’intérêts à la Banque de France, la richesse du pays n’évolue pas car l’argent circule en vase clos.

La supplique envoyée par ces économistes n’a donc, selon nous, aucun intérêt, puisque les finances publiques restent intactes. En effet, quelle est l’utilité de retirer 500 milliards d’euros des comptes d’une administration française pour ensuite les injecter dans une autre administration française ? (À titre indicatif, la dette publique française atteint désormais presque 120 % du PIB national !)

Pour la Banque de France, les intérêts qu’elle perçoit des dettes deviennent des recettes © Pixabay

La japonisation de l’économie

Néanmoins, les dettes existent bel et bien et elles sont toujours payées. Mais elles sont de diverses natures. Ainsi, certaines s’acquittent au moment de leur création (lorsqu’un État a une dette envers lui-même), d’autres au moment de leur remboursement.

Nous avons déjà vu cela dans le cas du Japon, mais cette situation s’applique également à la France. Avec cet endettement, on peut parler d’une certaine manière de japonisation. Définition du terme par Koen De Leus, chef économiste chez BNP Paribas Fortis : « La japonisation est une maladie économique caractérisée par une très longue période de faible croissance nominale et des taux d’intérêt exceptionnellement bas. » La croissance en berne et la déflation ont démarré au Japon avec notamment l’éclatement de la bulle immobilière dans les années 1990. L’Europe a été fragilisée par la crise de 2008, avec comme corollaire, des taux d’intérêt à zéro, une réduction de la population active, etc… D’où cette crainte pour la France de se « japoniser».

L’impact réel de la dette

Impression monétaire et baisse de la valeur d’une monnaie

Le fonctionnement simple de l’endettement à l’échelle internationale est le suivant : si la France fait un emprunt de 50 milliards auprès des États-Unis, elle pourra s’en servir pour son pouvoir d’achat. Puis, lors du remboursement, ces 50 milliards seront débités (on ne parle pas ici d’intérêts). En revanche, les choses se compliquent lorsque la France imprime ces 50 milliards pour son propre compte, puisque la population fournit cet argent. Au début, rien ne change. Mais au fil du temps et de la distribution de cette somme, la valeur de l’argent circulant dans le pays baisse.

Plus vous diffusez de la monnaie, moins l’argent disponible vaut cher. On se rend d’ailleurs compte que l’euro et le dollar ont une valeur dégradée. Ce n’est pas le cas du yuan par exemple, car la Chine n’a pas imprimé sa dette.

En clair, si un État imprime lui-même son argent, les citoyens payent le coût de la dette en s’en servant.

Keynes contre les libéraux

En matière d’endettement publique, deux courants de pensée économique s’affrontent.

D’un côté, les keynésiens estiment qu’avoir plus d’argent disponible est bénéfique au pays. Mais il faut que l’État fasse les bons choix collectifs. Malheureusement, force est de constater qu’en dépit des plans de sauvetage et grands emprunts quinquennaux, la France descend dans le classement des pays riches.

De l’autre, les penseurs libéraux disent qu’une impression monétaire massive destinée à l’usage propre de l’État est nuisible. Pour eux, cela conduit à une mauvaise allocation des ressources, car il est extrêmement difficile de déterminer l’action à mener pour l’avenir. 

Selon nous, les fonctionnaires et hommes politiques ne sont pas les mieux placés pour élaborer une stratégie probante, car leur position de responsabilité n’implique pas de prise de risque personnelle.

Remboursement de la dette publique

Rembourser la dette à la Banque de France revient à sortir une partie de la monnaie de singe en circulation dans le pays. Explications. Comme nous l’avons vu, en mars 2020, la gestion de la pandémie a entraîné de l’impression monétaire pour protéger les chômeurs et les entreprises. Comme il y a davantage de billets en circulation pour la même quantité de richesse, la valeur de la monnaie du pays baisse. Une fois la crise passée, l’État cherche à récupérer cet argent imprimé par le biais de levées d’impôts auprès de la population française. Ce faisant, il creuse encore davantage les déséquilibres provoqués par l’impression monétaire. Cette situation a déjà été étudiée par l’économiste Friedrich Hayek dans ce qu’il nomme la « présomption fatale ». 

Attention à la "présomption fatale" décrite par Hayek (déséquilibres dus à l'impression monétaire)
L’économiste libéral Friedrich Hayek a souligné les problèmes qu’entraîne l’impression monétaire. Photo publiée par le Mises Institute. Source : Wikimedia CC

En revanche, si on annule la dette nationale il faut assumer et prendre ses pertes, plutôt que de risquer un pari hasardeux en continuant à suivre un raisonnement fallacieux. Enfin, laisser en l’état la fameuse « dette perpétuelle » ne modifiera aucunement le niveau de pauvreté en France, même s’il y a des intérêts à payer.

Alors, comment réagir à l’idée de Thomas Piketty, qui veut « offrir aux États européens les moyens de leur reconstruction écologique, mais aussi réparer la casse sociale, économique et culturelle » ? Le constat est amer, car selon ses prescriptions, la dette ne ferait que s’accroître. En tout état de cause, il nous semble évident qu’imprimer 600 milliards d’euros pour les répartir ensuite par des personnes incompétentes n’est pas la solution…

LA LETTRE D’INVESTISSEMENT LA STRATÉGIE GRAND ANGLE

Si vous voulez protéger votre épargne en l’éloignant des États de la zone euro, lisez la lettre d’investissement que je co-rédige avec Guillaume Rouvier, et avec la participation de Charles Gave. Je vous donne les clés essentielles pour la structurer selon vos objectifs personnels grâce à quatre grandes catégories d’actifs : les actions, les obligations, les biens tangibles et les devises. Vous verrez qu’il faut les internationaliser ! 

Richard DÉTENTE