La création monétaire, c’est le vol !

21 janvier 2022

« La propriété, c’est le vol » est une citation attribuée à Pierre-Joseph Proudhon, une éminente figure de l’histoire du socialisme avec Karl Marx. Pourtant, ce que l’on oublie de dire, c’est que Proudhon était avant tout un humaniste libéral qui se préoccupait de la liberté à l’échelle individuelle pour se protéger du pouvoir étatique. D’ailleurs, il finira par reconnaître plus tard la nécessité de la propriété privée pour assurer la liberté individuelle. Raison pour laquelle on lui doit ultérieurement cette autre citation : « La propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui puisse s’opposer au pouvoir ». Comme quoi, la mémoire de l’Histoire reste sélective ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que la pensée de Proudhon a bien évoluée durant sa vie. En ce moment, il se passe la même chose sur la création monétaire. Entre les banques centrales qui impriment comme des folles pour conjurer le risque d’une crise déflationniste ; le bitcoin qui nous promet à terme une création monétaire égale à 0 ; le modèle de l’argent detteles banques commerciales font varier la masse monétaire par le mécanisme du crédit aux entreprises, le nouveau slogan en train d’apparaître est : « La création monétaire, c’est le vol ! » Aujourd’hui j’aimerai échanger avec vous autour des façons dont on peut approcher ces différents modèles de gestion de la masse monétaire. Vous allez être surpris !

La création monétaire par les banques commerciales : les risques

Gardons d’abord à l’esprit que la monnaie est avant tout une convention sociale qui aide à se mettre d’accord pour faciliter les échanges. Maintenant, voyons comment le système fonctionne aujourd’hui. Les banques commerciales impriment la monnaie, donc lorsque vous faites un emprunt de 100 000 €, votre banquier crée 100 000 € et vous les donne. Par contre, au fur et à mesure que vous les remboursez, le banquier détruit l’argent que vous lui rendez. Je ne m’étale volontairement pas sur les intérêts du prêt et le principe de récursivité pour ne pas complexifier l’idée. Gardez simplement en tête que cette histoire d’intérêts payés est neutre du point de vue de la masse monétaire.

Ce mode de création monétaire fonctionne à deux conditions. Une banque ne doit pas…

1 – Avoir des fonds propres négatifs

Il est impératif que les banques n’engagent pas plus que ce qu’elles sont capables de perdre. La création monétaire par l’argent dette implique un effet de levier sur les sommes empruntées, donc sur la quantité d’argent créé. Fondamentalement, ce n’est pas une mauvaise chose. Mais si une banque prête plus d’argent que ses fonds propres ne lui permettent d’en perdre, on arrive à des catastrophes comme en 2008. Donc dans un système d’argent dette, la réglementation doit être très stricte au niveau de la responsabilité des banques. Évidemment, dans le monde actuel, ce n’est pas le cas et c’est la principale raison de l’échec de ce système.

2 – Être confronté à de fortes récessions économiques

Lorsqu’une économie fonctionne au maximum de ses possibilités de croissance, car l’emprunt d’argent dette permet de débloquer un maximum de projets d’entreprises, le système économique va connaître des accélérations fulgurantes en période de croissance. Or, en période de récession, les purges sont bien plus fortes. Un tel système exige donc une grande flexibilité sur les embauches et les licenciements pour les entreprises, mais aussi sur la capacité à faire faillite et à créer une entreprise. Ensuite, libre à vous de gérer ces flexibilités comme aux États-Unis ou dans les pays du Nord de l’Europe. En France, vous ne pouvez pas vous le permettre en raison d’une administration omniprésente.

L’effondrement progressif du système bancaire

Au final, un régime d’argent dette permet des phases de forte croissance suivies de fortes récessions. En période de crise, la masse monétaire peut se contracter violemment et de nombreuses entreprises font faillite. Comme l’être humain est assez fuyant devant la douleur, nous n’avons pas joué le jeu. Tout le monde accepte les phases de croissance, mais en phase de récession, nos gouvernants préfèrent dérégler le système économique. Face à la pression populaire, ils empêchent les récessions de jouer leur rôle à grands coups de subventions publiques et de bidouillage des taux d’intérêts.

Quant aux banques, n’en parlons même pas, surtout en Europe, c’est une catastrophe. C’est le modèle de privatisation des profits et de socialisation des pertes qui s’est imposé. Cela ne marchera pas à long terme. Sur le court terme, ça fonctionne en théorie, sauf que nous ne sommes pas capables collectivement d’accepter un système qui fonctionne sur du levier. Il serait donc raisonnable de penser à un autre système, car après tout, la monnaie n’est qu’une convention humaine pour échanger de la valeur. On peut bien décider ce que l’on veut.

L’ordinateur de Friedman

Et si l’on adoptait l’hypothèse de Milton Friedman ? À savoir, on installe un ordinateur à créer des billets dans la banque centrale, on vire tous les fonctionnaires et on laisse cet ordinateur produire 3 % de monnaie en plus chaque année. L’idée est simple : si on veut des prix stables, il faut que la masse monétaire soit égale à la croissance économique. Au pire, vous pouvez adapter ce pourcentage à la marge tous les 10 ans pour coller à la réalité de la croissance.

Ensuite, chaque année, libre à vous de donner ces 3 % à l’État si vous pensez que c’est une manière intelligente de payer l’impôt. Dans ce cas, vous êtes plutôt de gauche et pensez que l’État doit rester au centre des décisions politiques. Ou alors, vous donnez ces 3 % directement aux gens, car vous pensez que les meilleurs planificateurs économiques sont les individus. Dans ce cas-là, vous êtes plutôt de droite et ce revenu pourrait également constituer une sorte de minimum social.

Bref, dans ce système, les prix sont à peu près stables à long terme. Je dis bien à peu près, car vous vous soumettez complètement à la variation de ce que l’on appelle la vélocité de la monnaie, soit la vitesse de circulation de la monnaie dans l’économie. Le cas échéant, les crises économiques sont dures, car en période de récession, si tout le monde arrête de dépenser ses sous, il n’y a plus d’argent dans les rues et les faillites s’enchaînent. Vous pouvez penser que c’est une bonne chose, car c’est le rôle des récessions que de sortir de la plage à marée basse ceux qui se baignait sans maillots de bain. Dans un système monétaire rigoureux toutes les récessions ne sont pas drôles à vivre, car il faut faire faillite « pour de vrai » si je puis dire.

L’impression monétaire, c’est le vol

Ce n’est pas tout, un système d’inflation de la masse monétaire implique aussi une distribution des revenus. Comme je l’ai mentionné plus haut, que ce soit par l’État ou par une sorte de revenu annuel à la population, la création monétaire agit comme un impôt. Mais un impôt sur qui ? Sûr l’épargnant bien sûr ! Celui qui a épargné des billets sous son matelas voit son capital se déprécier, ou au mieux, rester stable en fonction des règles annuelles de distribution de la monnaie. C’est donc l’épargnant qui trinque et le dépensier qui en profite. Mais bon, c’est un modèle, et en soi, il peut faire l’objet d’un projet de société. D’ailleurs, si on me demandait comment instaurer un revenu de base de façon intelligente, je réfléchirai à une solution de ce type.

Imaginons un modèle de déflation économique

En phase de stagnation ou de récession

Je me suis amusé à imaginer un système déflationniste, c’est mon préféré et c’est assez ludique, vous allez voir. Vous instituez une monnaie parfaitement divisible à l’infinie. On peut faire des centièmes, des millièmes, des milliardièmes etc… autant qu’on le veut. Vous instituez une quantité de monnaie fixe, par exemple, 100 millions d’unités à la base et ensuite vous ne touchez plus rien du tout. Vous ne faites rien et vous laissez le système se débrouiller avec ses 100 millions de machins.

Que se passe-t-il ?

Dans une économie qui n’a aucune croissance, il n’y aura pas de variation des prix. Dans un système en récession, la quantité de biens et services va diminuer et vous vous retrouverez avec des périodes inflationnistes. Puisqu’il y a de moins en moins de choses à acheter, votre monnaie vaudra moins cher puisque son pouvoir d’achat global diminue.

En phase de croissance

Dans les périodes de croissance, vous vous retrouverez avec une baisse des prix, soit de la déflation. Dit autrement, plus il y aura de choses produites, plus le pouvoir d’achat de votre monnaie va augmenter en proportion de la croissance économique. Dans ce cas, faire un prêt pour développer son business devient quelque chose de difficile.

En effet, vous savez que la déflation va faire baisser votre chiffre d’affaires et que vous allez devoir rembourser un taux d’intérêt à peu près égal à la croissance économique. Un tel système tue une bonne partie de la finance, qui essaie de faire des petits gains à la marge comme les LBO (leveraged by-out, soit un achat à effet de levier). Ce système consiste à endetter une entreprise pour pouvoir la racheter. Globalement, cela tue une grande partie des opportunités de faire de l’argent avec de l’argent car le crédit coûte très cher. Seuls les projets d’entreprises solides peuvent survivre.

En résumé

Si l’économie ralentit, alors la déflation diminue naturellement et le crédit devient moins cher, ce qui aide les entreprises à repartir. On a donc un système qui minimise l’impact des crises et qui maximise la difficulté à s’endetter en phase de croissance.

En ce qui concerne l’épargnant, son argent s’apprécie tout seul en phase de croissance et se déprécie naturellement en phase de récession. Bref, l’épargne des gens est indexée automatiquement sur la croissance. Je trouve ça beau personnellement. Il n’y a besoin de personne.

Le problème majeur de cette stratégie c’est d’arriver à passer du monde actuel, très fortement endetté, à un monde déflationniste. Cela implique une faillite du système en place d’une manière ou d’une autre. Le plus amusant, c’est que cette réflexion je l’ai en tête depuis un paquet d’années, et je me suis rendu compte il y a seulement quelques mois que c’était précisément le projet de bitcoin.

Le fonctionnement du bitcoin

Bitcoin dispose de 21 millions d’unités, auxquelles aucune autorité centrale ne peut toucher. Bitcoin c’est un peu le gros ordinateur central dont parlait Milton Friedman, sauf qu’il est déflationniste et non inflationniste, et qu’il est décentralisé. Il n’est nul part en soi, mais omniprésent.

Encore plus fort. Il y a quelques semaines, je discutais avec Didier DARCET, chercheur en finance et aussi mon compère pour la rédaction de ma lettre d’investissement et la réalisation de Neystor (ma plateforme d’assistance à la gestion libre en ligne). Didier me disait que d’après ses calculs, le niveau d’inflation auquel correspond le plus grand taux de croissance dans l’Histoire est statistiquement, sur un siècle et demi aux États-Unis, de moins 1,5 %.

C’est un chiffre tout à fait intéressant, car au cours du dernier siècle, ce – 1,5 % correspond à l’augmentation de la productivité de l’économie. Dit autrement, il semble bien que l’optimum pour le fonctionnement d’une économie capitaliste soit, par l’appréciation de la monnaie, une redistribution des gains de productivité. Je ne parle pas ici de croissance de l’économie, qui comprend aussi la croissance de la population. Non, je parle de croissance de la productivité qui correspond à la croissance de l’efficience de l’économie. Soit la quantité de moyens nécessaires pour produire une unité de richesse. La nature fait bien les choses, c’est juste incroyable en réalité.

Mon point de vue

Je voulais partager avec vous cette réflexion sur les modèles de création monétaire, car je pense qu’il est important de sortir d’une réflexion politicienne sur ce sujet hautement citoyen et qui devrait être un choix démocratique. Donc lorsque je vois des membres haut placés de banques centrales qui appellent à tuer bitcoin pour ne pas mettre en danger l’euro, cela me hérisse le poil.

Si bitcoin est une mauvaise idée, laissez-le mourir tranquillement par la preuve de son inutilité. Je ne sais pas si bitcoin va fonctionner ou pas. Ses chances d’échecs sont élevées. Mais si c’est une bonne idée, alors nos gouvernants sont juste en train de nous pourrir la vie pour préserver leur pré carré contre l’intérêt de leur population. Et ça, ça me rend dingue !

#FoutezNousLaPaixVousEnAvezDéjàAssezFaitCommeÇa !

Pour finir, si vous voulez en apprendre plus sur bitcoin, voici l’interview d’un expert sur le sujet, Sébastien Gouspillou :

Richard DÉTENTE