Annulation des contrats de sous-marins français, l’Australie choisit le camp de l’AUKUS

22 mai 2022

La nouvelle a choqué la France et une bonne partie du monde. Dans la nuit du mercredi 15 septembre 2021, l’Australie annonce qu’elle annule la commande de 12 sous-marins d’attaques, commandés à la France en 2016. Il s’agit non seulement d’un contrat de 56 milliards d’euros qui part en fumée, mais également une reconfiguration des grandes alliances militaires dans le monde. Bien sûr, la Chine reste au cœur de ces évènements, ainsi qu’une remise en question de la stratégie géopolitique des USA.

1945 – 2001 : les gendarmes du monde règnent en maître

Pour bien comprendre le changement de ton de l’alliance Australie, Grande Bretagne et États-Unis, soit l’ANKUS (Australia, United Kingdom and the United States), il faut comprendre que jusqu’au 31 août 2021, date symbolique du retrait des USA de l’Afghanistan que nous prendrons comme date pivot, les USA ont une position hégémonique sur la défense du monde.

Jusqu’alors, et ce depuis 1945, les USA avaient la capacité d’intervenir partout dans le monde en s’appuyant sur une puissance militaire colossale. Tant par la quantité de moyens que par leur avance technologique.

À cette puissance sans égale, qui a atteint son apogée lors de la chute de l’URSS, il faut ajouter un réseau d’alliance internationale qui permettait aux USA de se projeter partout et n’importe quand.

Or, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les USA ont commencé à constater que leur puissance n’était plus toute puissante justement.

Gagner des batailles était toujours à leur portée sur le plan militaire, mais il est bien connu que pour remporter les guerres, il ne suffit pas de cumuler les victoires sur le champ de bataille. Il faut aussi gagner les cœurs. Si les USA ont incarné un modèle de liberté, qui a enthousiasmé le monde à la fin de la 2e guerre mondiale face à l’URSS, ce ne fut plus le cas depuis la guerre du Viêt Nam où les USA ont accumulé les défaites idéologiques.

La montée en puissance de la Russie et de la Chine face aux États-Unis

Ce grand pays qui a tant inspiré l’Occident a peu à peu changé d’image pour devenir un oppresseur pour une grande partie des pays du monde. Dit autrement, lorsque vous commencez à définir un axe du mal de pays qui ne vous conviennent pas, ce n’est pas la bonne pente en termes d’adhésion populaire.

Sur le plan purement militaire, les USA ont également vu la diminution de leur suprématie.

L’armement Russe, qui disposait déjà de la puissance nucléaire, s’est également doté de missiles hypersoniques redoutables pour les porte-avions américains notamment.

La Chine a également remonté considérablement le niveau de son armée.

Ces deux puissances viennent incarner une alternative en terme d’influence dans une bonne partie du monde, à savoir l’Asie (hors Japon), le Moyen-Orient et bien sûr l’Afrique.

Les USA doivent aujourd’hui choisir leurs combats car ils n’ont plus les moyens d’être partout en toute occasion.

Ce renversement de dynamique s’est accompagné logiquement de deux transitions sur le plan économique et géopolitique : la mise à mal du dollar comme monnaie de réserve mondiale et la perte d’influence des organismes supranationaux.

La dédollarisation du monde

En économie, c’est l’idée de la Chine de dédollariser le monde qui a réellement pris corps, suivi de près de son allié de circonstance, la Russie.

C’est tout à fait notable, car les tentatives de dédollarisation ont été nombreuses mais ont toujours été étouffées dans l’œuf. Je pense bien sûr à l’Irak, la Libye et d’autres…

Aujourd’hui, sous l’effet du contrepoids chinois et russe, la dollarisation n’est plus un projet conceptuel mais bien une réalité. La Chine développe le yuan comme monnaie centrale de sa zone d’influence et la Russie multiplie les accords bilatéraux commerciaux tant avec l’Asie que l’Europe, en cherchant à commercer en euros et en yuan.

Le monde change.

Et ce changement s’accompagne aussi d’une reconfiguration géopolitique majeure.

La remise en question des instances internationales

En tant que gendarme autoproclamé du monde, les USA ont participé à la construction d’institutions multilatérales depuis 1945 comme l’OTAN pour la défense, l’ONU pour la diplomatie, le FMI pour l’économie et j’en passe.

Bien sûr, au centre de chacune de ces institutions se trouvent les intérêts américains. C’était parfois gênant, mais souvent confortable pour ses alliés.

Par contre, avec le temps, et la diminution relative de la suprématie américaine, ces institutions multilatérales ont été de plus en plus monétisées, si je puis dire, par les USA. Et ce, au détriment de leurs alliés, au point où beaucoup de ces alliés commencent désormais à remettre en question l’intérêt de ces organisations.

D’un côté, les USA trouvent qu’ils paient cher pour peu de retour, de l’autre des pays comme la France trouvent que les USA deviennent de plus en plus gourmands pour un service moins grand.

Certains ont vu dans la création de l’Union Européenne une réponse à cette présence envahissante des USA. Pourtant, ces espoirs ont été largement déçus, car l’Union Européenne n’a d’union que le nom et la monnaie. Malheureusement, une monnaie commune peut être le résultat d’une convergence politique mais l’inverse ne s’est jamais révélé vrai.

Les USA, à partir de la présidence de Trump, ont donc commencé ouvertement à remettre en cause ces systèmes multilatéraux. Cela s’est fait avec une certaine rudesse et beaucoup se sont cachés derrière leur petit doigt en dénonçant la brutalité de Trump. Alors que dans le fond, tout le monde sent bien que c’est la marche de l’Histoire.

D’ailleurs, en ce qui concerne le retrait des USA en Afghanistan, c’est l’acte géopolitique le plus parlant. L’administration Trump en a parlé et l’administration Biden l’a fait. What else n’est ce pas ?

Nous en arrivons à notre histoire de sous-marins nucléaires.

L’annulation des contrats de sous-marins français pour l’Australie

En 2016, la France conclut un deal gigantesque avec l’Australie pour fournir ces fameux sous-marins conventionnels. Le  mot conventionnel signifie qu’ils ne sont pas nucléaires. Ils fonctionnent au diesel. L’enjeu derrière ce choix est à la fois technologique et diplomatique.

La France et les USA possèdent des sous-marins nucléaires, car ils possèdent l’arme nucléaire et une industrie solide de l’armement. La France est le 3e exportateur mondial d’armes dans le monde derrière les USA et la Russie.


Lorsque l’Australie achète des sous-marins conventionnels, elle se positionne comme une puissance de second rang, qui laisse entendre que sa ligne de défense militaire s’abritera derrière des alliances dans le cadre du multilatéralisme dont on a parlé. 

Clairement, tout le monde sait qu’en cas d’attaque par un pays tiers, l’Australie serait défendue par les USA et les pays européens.

Mais alors qu’est-ce qui s’est passé cette nuit du 15 septembre ?

En choisissant de dénoncer la commande à la France de 12 sous-marins conventionnels en faveur d’une commande de sous-marins nucléaires aux USA et à la Grande Bretagne, l’Australie donne une tribune à la formation de cette nouvelle alliance appelé AUKUS (Australia United Kingdom and United States). 

Ce revirement commercial est une déclaration formelle d’un revirement des alliances internationales.

Les USA se rapprochent de leurs alliés historiques et indéfectibles et lâchent progressivement les alliés secondaires comme la France.

D’ailleurs, lors du Brexit, j’avais expliqué dans la vidéo ci-dessous que les Britanniques avaient très bien compris où étaient leurs intérêts. Comme l’a dit Churchill à De Gaulle, entre l’Europe et l’Atlantique, la Grande Bretagne choisira toujours de prendre le parti du grand large.

Le monde poursuit sa fragmentation entre 3 grandes zones d’influences en compétition, l’Asie, l’Europe et les USA.

Donc, lorsque la France se plaint, car elle feint de ne pas comprendre ce revirement de l’Australie, alors qu’elle aurait très bien pu vendre des sous-marins nucléaires à l’Australie, tout le monde a bien compris que là n’était pas l’enjeu. Le problème n’est pas technique, il est bien géo-politique.

De nouvelles opportunités pour la France

Est-ce pour autant que la France n’a plus de solutions ? Non, bien au contraire. Un retrait partiel des services militaires USA de l’Europe signifie des opportunités pour la France.

La France est un des rares pays d’Europe à avoir une armée et une industrie de l’armement qui tient debout. Libre à nous d’aller proposer nos services là où les USA se retirent. Nous avons une réelle possibilité de prendre une belle place au sein des pays européens.

Par contre, il est important de faire son deuil du mythe de l’Union Européenne.

Les Allemands sont des voisins avec lesquels nous sommes en paix, mais ce ne sont certainement pas des amis tant leurs objectifs divergent des nôtres.

Sur le plan militaire, ils ont aussi une armée et une industrie. Nous sommes donc concurrents.

Sur le plan du mix énergétique, ils se sont englués dans la doxa des énergies renouvelables, envers et contre tout bon sens, alors que nous avons la chance d’être une puissance nucléaire avec une industrie nucléaire civile parmi les meilleures au monde. Certes, nos compétences nucléaires sont sur le déclin, mais si nous décidons de rompre avec l’imbécilité du tout renouvelable nous avons une carte à jouer dans le nucléaire civil.

Par contre, cette stratégie ne pourra se faire que contre l’Allemagne qui a pris le parti de militer au sein de l’Union Européenne contre le nucléaire civil. Une telle politique est une agression directe des intérêts de la France.

En ce qui concerne l’euro c’est la même chose. La parité de l’euro actuel est dans l’intérêt de l’industrie allemande, car elle nourrit ses excédents commerciaux tandis que la France aurait meilleur compte a avoir un euro plus faible pour redonner un souffle à son tissu économique en favorisant ses exportations.

La lettre d’investissement : la stratégie grand angle

Si vous souhaitez savoir comment gérer votre épargne dans ce nouveau monde, je corédige une lettre d’investissement avec Didier DARCET. Dans cette lettre, vous aurez une vision d’un portefeuille financier qui s’appuie sur cette vision du monde. Ni pour, ni contre, bien au contraire, nous analysons chaque mois l’évolution des marchés et des équilibres géoéconomiques. Comme je le dis souvent, dans la vie il faut savoir si l’on veut avoir raison ou si l’on veut gagner. Nous vous parlerons de métaux précieux, d’obligations chinoises, d’actions et même de blockchain. Ni pour, ni contre, bien au contraire. Avoir raison relève de la lutte politique tandis que vouloir gagner exige d’être pragmatique.

La France a de nombreuses cartes à jouer, mais pour cela, il faut qu’elle assume pleinement ses points forts, en ne craignant pas de déplaire à ses voisins et ses alliés historiques. L’indépendance ne se demande pas, elle se conquiert.

Richard DÉTENTE