Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar

24 juin 2021

Pétroyuan et dédollarisation du monde

Le recours contraignant au dollar a forcé la Chine à trouver une solution alternative pour ses achats en pétrole : le pétroyuan. Depuis 2018, les transactions pétrolières peuvent être libellées en yuan, une monnaie elle-même convertible en or. Un argument de poids face au dollar, qui n’est plus indexé sur l’or depuis bientôt cinq décennies, et dont la valeur est maintenue artificiellement à grands coups de planche à billets. Le renminbi séduit donc un nombre croissant de pays partenaires. Découvrez tout de suite comment la Chine veut éliminer progressivement le dollar en Asie et ailleurs pour imposer le yuan comme nouvelle monnaie de réserve mondiale.

Les contraintes pétrolières chinoises

Pour soutenir le rythme incroyable qu’a été celui de la croissance chinoise, le pays a importé du pétrole continuellement ces quinze dernières d’années. Au point que la Chine est devenue le 1er importateur mondial depuis 2017¹, reléguant les États-Unis au second rang. Les principaux pays fournisseurs de pétrole pour la Chine se trouvent en grande partie sur le continent eurasiatique. Parmi eux, le fournisseur n°1 est la Russie. Viennent ensuite les pays du Moyen-Orient (par ordre d’importance) : l’Arabie saoudite, le sultanat d’Oman, l’Irak et l’Iran². 

Le problème pour la Chine, c’est que le paiement de ses importations pétrolières s’effectue surtout en dollars. Il faut savoir que lorsque vous utilisez cette monnaie, vous êtes soumis au droit américain. Or, les États-Unis ont inscrit l’Iran sur leur liste noire³, imposent régulièrement des sanctions à la Russie et ont mené une guerre à l’Irak. Ainsi, quand la Chine utilise des dollars pour acheter du pétrole dans ces pays, elle écope elle-même de sanctions. 

Les contraintes du dollar

Le dollar comporte 3 contraintes majeures.

1. L’extra-territorialité

Quel que soit l’endroit où vous vous trouvez dans le monde, lorsque vous payez en dollars, le droit américain s’applique automatiquement à toutes vos transactions.

2. Les sanctions

Imposées de façon unilatérale par les États-Unis, les sanctions peuvent s’appliquer aussi bien à des entreprises qu’à des États. Elles peuvent prendre la forme d’amendes très élevées, allant jusqu’à plusieurs milliards de dollars. Ou alors, elles peuvent consister à mettre des pays sous embargo, comme c’est le cas pour Cuba et l’Iran. 

3. La rétroactivité du droit américain

Décidée encore une fois de manière unilatérale, si une entreprise ou un pays avec lequel vous avez commercé il y a plusieurs années se retrouve soudain sur liste noire américaine, vous devez payer des sanctions par effet rétroactif.

Ainsi, dans un contexte aussi arbitraire, et vu les pays auprès desquels la Chine importe son pétrole, on peut dire qu’elle a souvent été contrainte de mettre la main au portefeuille… C’est ce qui l’a incitée à trouver d’autres solutions.

La création du pétroyuan

Depuis mars 2018, la Bourse internationale de l’énergie de Shanghai (SHFE : Shanghai Futures Exchange) a introduit la cotation du pétrole en yuan. Cela signifie que l’on peut désormais utiliser des yuans pour acheter du pétrole. Avant cette date, toutes les transactions pétrolières à terme étaient uniquement libellées en dollar.

Pour l’instant, le yuan est surtout utilisé pour les types de pétrole que l’on trouve en périphérie de Chine. Il y a notamment le pétrole brut d’Oman, les pétroles d’Irak et d’Arabie saoudite, celui de Russie mais également le pétrole brut chinois.

Les achats en pétroyuans ne représentent pour le moment que 3 % de la totalité des importations chinoises. Dans ce domaine, le yuan est donc encore loin d’avoir détrôné le roi dollar. Néanmoins, cette opération est déjà un franc succès pour la place boursière de Shanghai, qui assure doucement mais sûrement sa crédibilité à l’international.

Objectif : Faire du pétroyuan la prochaine monnaie de réserve mondiale

La stratégie chinoise pour le pétroyuan s’inspire du Pacte du Quincy en 1945. À l’époque, le président américain Roosevelt avait réussi à obtenir du roi Al Saoud que le dollar soit la monnaie de référence dans les transactions pétrolières. En échange de bon procédé, les États-Unis offraient à l’Arabie saoudite leur protection militaire. Avec le temps, le dollar est devenu la monnaie d’échange sur d’autres matières premières, pour finalement s’imposer comme monnaie de réserve mondiale. 

Si la Chine cherche à atteindre le même résultat, le moyen pour elle d’y parvenir est différent. Ce qu’elle veut, c’est tourner à son avantage le contexte géopolitique actuel. Étant donné qu’elle importe majoritairement son pétrole auprès de pays qui ont des relations tendues avec les États-Unis (Russie, Iran, Irak, etc.) elle leur propose un échange « gagnant-gagnant ». Je vous achète votre pétrole, en contrepartie, vous acceptez mes yuans et nous échappons tous à l’extra-territorialité du droit américain. La tactique est donc plutôt ingénieuse et commence à séduire un nombre croissant de partenaires.

Le pays qui marquera un tournant décisif dans l’expansion du renminbi est sans conteste l’Arabie saoudite. Étant donné qu’il s’agit du premier pays producteur et exportateur de pétrole après les États-Unis, si l’Arabie saoudite acceptait les pétroyuans, ce serait la voie royale pour l’hégémonie du yuan. L’Oncle Sam ne voit certainement pas cela d’un bon œil et n’est pas prêt à céder son monopole. Néanmoins, le déficit structurel américain érode peu à peu la puissance des États-Unis et la confiance en leur monnaie à l’international.

Il est aussi intéressant de relever que, si Pékin ne peut pas garantir une protection militaire officielle à ses partenaires pétroliers, au risque d’entrer en confrontation directe avec Washington, le gouvernement chinois est tout de même en mesure d’apporter son soutien. L’armée chinoise s’est modernisée et les nouvelles routes de la soie conçues et mises en place par le Président Xi Jinping permettent une intervention militaire rapide en cas de besoin. Cela s’est notamment constaté pendant la guerre de Syrie.  

 Des pétroyuans convertibles en or

Pour donner au yuan toutes ses chances, depuis avril 2016, la Chine assure la convertibilité du yuan en or. Deux ans plus tard, en instaurant la cotation du pétrole en yuan elle marque une autre étape décisive. Pour les pays exportateurs, cela signifie que, s’ils acceptent des yuans en échange de leur pétrole, ils peuvent ensuite convertir la monnaie chinoise en or physique. Cette conversion peut s’opérer sur le Shanghai Gold Exchange (SGE) et la place boursière de Hong Kong.

En faisant cela, ce que la Chine a accompli n’est autre que la réintroduction de l’or physique au sein du système monétaire international. Elle a redonné à l’or sa place historique de monnaie de réserve mondiale au détriment du dollar. Pour y parvenir, elle n’a pas lésiné sur les moyens. Il n’y a pas de source exacte, mais on estime aujourd’hui à environ 4 000 tonnes la quantité d’or présente dans les coffres de la RPC. Ce qui fait de la Chine le plus grand pays consommateur et producteur d’or au monde.

 La dédollarisation de l’Asie

Un autre front sur lequel la Chine attaque le dollar, c’est sur les échanges commerciaux au sein de la zone Asie. Les pays asiatiques utilisent actuellement le dollar pour leurs transactions. C’est, pour l’heure, la solution la plus simple pour réduire les risques sur les achats à terme, car la volatilité de certaines monnaies asiatiques est encore beaucoup trop forte. Or, depuis une dizaine d’années, la Chine incite ces pays à commercer dans leurs monnaies respectives. 

Pour les aider dans cette démarche, Pékin leur propose de se baser sur le yuan comme monnaie d’ancrage, soit une sorte de repère de valeurs sur un temps donné. De plus, si jamais un des deux pays n’arrivait pas à régler le déficit de sa balance commerciale, la Chine lui propose de régler ce déficit via des emprunts en yuan par sa banque centrale.

Cette méthode ingénieuse a eu pour effet de réduire la volatilité au ¾ sur les principales monnaies asiatiques depuis 10 ans. Un autre avantage, c’est qu’en distillant doucement mais sûrement le yuan dans l’ensemble de sa sphère d’influence historique, la Chine attaque sous un autre angle le privilège impérial du dollar. Privilège qui permet aux États-Unis de payer le déficit de leur balance commerciale avec leur propre monnaie depuis la fin de la 2e guerre mondiale. 

La dédollarisation du monde à l’aide de nouvelles institutions financières

Pour asseoir sa légitimité dans ce nouveau rapport de force, la Chine s’est dotée de prestigieuses institutions financières depuis 2015. Cela lui permet également de développer les échanges avec ses pays partenaires.

la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures

L’AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank) est née de deux constats. Premièrement, la sous-représentation de la Chine en dépit de son poids économique au sein du FMI et de la Banque mondiale. Deux institutions pilotées en sous-main par les États-Unis. Deuxièmement, l’impossibilité pour la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement de répondre aux immenses besoins en infrastructures des régions d’Asie centrale et d’Asie du Sud-Est estimés à 800 milliards de dollars par an.

C’est ainsi qu’en octobre 2014, la Chine lance une sorte d’équivalent au FMI : la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (la BAII), dont le siège est à Pékin. Cette institution entend promouvoir le développement économique, social et surtout durable dans la région. L’impact écologique est pris en compte dans chaque étude de projet. Les pays d’Asie centrale y ont largement adhéré, consolidant encore davantage le succès des nouvelles routes de la soie.

Comme ces routes s’étendent jusqu’en Europe et en Afrique, un nombre important de membres non régionaux en font partie. Notamment des pays européens comme la France, le Royaume-Uni, la Suisse et l’Allemagne, mais également une dizaine de pays africains et plusieurs pays d’Amérique du sud. Au total, la BAII compte 85 pays membres. Elle met à disposition ses fonds propres mais sollicite également les capitaux publics et privés. Ses projets d’infrastructures sont centrés sur l’énergie, les transports, le développement urbain et l’eau.

La Nouvelle banque de développement

Encore une fois sous l’impulsion de la Chine, la Nouvelle banque de développement (la NBD) a été inaugurée en 2015 et peut se résumer comme une sorte d’équivalent à la Banque mondiale. L’objectif de la NBD consiste à financer des projets d’infrastructures et de développement durable dans les États émergents.

Ses membres fondateurs sont les fameux BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Le siège de cette banque est à Shanghai. Cette initiative est née de la volonté des cinq membres de voir leur poids économique reconnu à sa juste valeur. Les BRICS représentent en effet 40 % de la population mondiale et pèsent pour plus de 20 % de l’économie mondiale.

Cependant, la Banque mondiale et le FMI ont semblé occulter ce nouveau rapport de force et ont fait preuve d’une grande rigidité vis-à-vis de ces puissances émergentes. Raison pour laquelle les BRICS ont voulu s’émanciper de leur tutelle. Ces 5 pays disposent désormais d’un capital commun de 100 milliards de dollars pour financer des travaux publics et privés. La Chine a contribué à ce fonds à hauteur de 41 milliards.

Les prêts accordés par la NBD aux pays qui en font la demande sont libellés en monnaie locale, et ce, dans le but de contourner encore une fois l’hégémonie du dollar américain. Cette banque ne regroupe pour l’instant que 5 membres, mais envisage d’élargir son adhésion au Mexique, à la Turquie, à la Corée du Sud et à l’Indonésie. 

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Dans la lettre d’investissement, Richard vous explique comment acheter des obligations chinoises. L’idée est de profiter de cet îlot de stabilité monétaire au moment où le dollar et l’euro sont voués à baisser structurellement face au yuan.

Cliquez sur cette vidéo si vous voulez connaître les étapes annoncées par la Chine pour asseoir sa puissance sur le long terme :

Ophélie Baudoin

Sources :

¹ Évolution des importations chinoises en pétrole brut (site : Connaissance des énergies)

² Pays où la Chine importe son pétrole (site : China National Petroleum Corporation)

³ Liste noire américaine (Wikipedia)