La Chine est un sujet qui passionne, car tout le monde sent bien qu’elle s’apparente au nouveau pôle dans le monde qui fait face à l’hégémonie américaine qui prévalait depuis 1945. Nous sommes haussiers depuis plusieurs années sur la monnaie chinoise et jusqu’à aujourd’hui cela a très bien fonctionné. Pourtant, depuis plusieurs mois, les obligations chinoises sont en retrait dans les deux portefeuilles de notre lettre d’investissement que je corédige avec Didier DARCET. Alors pourquoi avons-nous réduit la part obligataire chinoise ? Et d’ailleurs, pourquoi nous cantonnons-nous aux obligations chinoises ? Plus que tout cela, quels sont les défis qui guettent la l’économie chinoise dans cette période où les grands équilibres mondiaux sont remis en jeu sur la table géopolitique ?
La crise immobilière chinoise : quand la pierre fragilise le pays
Depuis quelque temps, on observe en Chine des mouvements de foule de mécontentement autour de quelques petites banques locales. Il y aurait donc des problèmes dans le système bancaire chinois ? Tout ceci pourrait bien ne pas être étranger au secteur immobilier. C’est une base massive de l’économie chinoise, car les besoins sont énormes.
Pour rappel, la Chine a organisé le plus grand transfert de population au monde par temps de paix en déplaçant 200 millions de Chinois des campagnes vers la ville depuis les années 90. Pourquoi ce déplacement de population gigantesque et organisé par le pouvoir ? Pour accélérer le développement économique de la Chine.
En ville, le taux de consommation du revenu est plus élevé qu’à la campagne, du coup la Chine souhaite se construire une demande intérieure plus rapidement afin de diminuer la part relative des exportations dans le PIB chinois sans diminuer le montant des exportations en volume. Dis simplement, il faut que les Chinois consomment plus afin qu’ils soient de moins en moins dépendant de leurs clients occidentaux, USA en tête.
Par ailleurs, comme la campagne chinoise est relativement peu équipée en infrastructure de base par rapport aux pays occidentaux, il est plus simple et bien moins coûteux d’équiper les villes où la densité est bien plus grande pour permettre au niveau de vie chinois de rattraper le retard. Ce contexte chinois bien spécifique explique pourquoi le secteur de la construction se retrouve au cœur de la stratégie chinoise. En effet, pour bâtir des logements et des infrastructures pour 200 millions de personnes, il faut mobiliser quelques ressources. Par contre, comme l’objectif n’était pas de déstabiliser les grandes villes chinoises historiques comme Beijing ou Shanghai, le régime chinois a organisé le développement de petites et moyennes villes, mais il a aussi créé des villes à partir de zéro.
La Chine subit un ralentissement de croissance inévitable
Lorsque l’on voit des villes fantômes de plusieurs dizaines de milliers d’habitants qui ne sont jamais arrivées, c’est apeurant, mais en même temps, quelques erreurs de ce type à l’échelle d’un mouvement de 200 millions de personnes, cela reste marginal. Puis, il y a de nombreuses villes qui sont en cours de peuplement et dont la population augmente, mais qui ont été largement dimensionnées pour faire face aux 20 ans qui viennent. La créativité immobilière a été telle que l’on trouve même une ville en Chine qui copie Paris en grandeur nature.
Il n’en reste pas moins que les grands mouvements de foules étant essentiellement terminés, l’économie chinoise vit un moment où il va falloir faire la transition entre un régime de croissance forte et un régime de croissance plus stable. C’est aussi pour cela que le fameux deal chinois entre le pouvoir et sa population qui consistait à dire qu’il fallait au moins 5 % de croissance au pays pour assurer la stabilité sociale est terminé. Cette forte croissance était due à cet exode rural qui provoquait un afflux de travailleurs dans les villes qu’il fallait alimenter en emplois.
Il n’est donc pas étonnant que la Chine soit au ralenti dans son ensemble. De plus, les fondamentaux sont plutôt bons et la Chine profite de l’enlisement de l’Union européenne sur le plan de l’énergie.
Alliance Chine Russie : le coût du pétrole impacté
Rabais russe sur le baril pour l’économie chinoise
Avec la crise ukrainienne, la Chine a gagné un nouvel allié pas tout à fait naturel pour elle ; la Russie et avec lui, elle a également gagné une part conséquente de l’énergie en pétrole et en gaz qui était, jusqu’à lors, réservée à l’Union européenne. C’est une aubaine incroyable. Dans le domaine de l’énergie et surtout du gaz, les relations clients/fournisseurs se construisent sur des décennies, car il faut que les infrastructures, Gazoduc en tête, mais aussi les raffineries, suivent l’évolution des contrats commerciaux. Avec la guerre en Ukraine et la décision de l’UE de se couper des hydrocarbures russes, la Chine se positionne idéalement comme débouché de secours.
Ce graphique devrait traumatiser chaque Européen. Il vous montre qu’au plus haut de la crise en avril 2022, la Chine achetait son pétrole 40 % moins cher que les Européens et qu’à ce jour où nous vivons une accalmie sur les prix du pétrole, la Chine dispose toujours d’un rabais d’un peu plus de 30 %. Pour la Russie, ce n’est pas très grave puisque les prix du pétrole ont largement augmenté durant cette crise. Les excédents commerciaux de la Russie sont donc au beau fixe malgré de tels prix discount.
Pourquoi les prix du pétrole ont-ils baissé soudainement pour l’Europe, en pleine crise russe ?
Les raisons sont multiples, mais si vous admettez que la demande en pétrole n’a pas baissé et que l’offre est toujours la même bien que le pétrole soit vendu à des clients différents, alors la baisse des cours est une incongruité.
Fondamentalement au-delà des effets saisonniers et des autres facteurs, il doit s’agir d’un signal d’une accélération de la récession en Europe. Puisque nous avons connu plusieurs mois de pétrole très cher, des usines avec les marges les plus faibles ont fatalement arrêté leur production, ce qui réduit la demande en énergie et relâche la pression.
La lettre d’investissement : la Stratégie Grand Angle
Depuis la mi-juillet, nous sommes positifs sur nos investissements sur le marché des cryptomonnaies, car le secteur de la blockchain monte plus fortement que le reste des marchés. Aujourd’hui, les cryptomonnaies se comportent un peu comme une sorte de levier sur les marchés financiers, car le prix des marchés, sur les cryptos ou les actions, est encore principalement guidé par la liquidité en dollar dans le monde.
Ainsi, si l’on suit le fil de notre analyse, si la récession frappe l’Union européenne plus durement que prévu, alors la destruction de la demande sera plus forte que l’on ne le pensait. Cette hypothèse est corroborée par la baisse des prix du pétrole d’une part, mais aussi par une réduction de la hausse de l’inflation.
Le résultat de cette situation est la performance des marchés. Pour notre part, nous restons vigilants sur la possibilité de vendre nos cryptomonnaies qui ont déjà profité d’une hausse de 80 % en 1 mois, car nous pensons que le risque de chute est largement sous-évalué, une constatation qui inclut le Bitcoin. Mais pour l’instant, nous pouvons nous satisfaire de la situation : le dollar monte avec les marchés et les rendements des portefeuilles que nous présentons dans la lettre d’investissement surperforment les performances des marchés.
Pour conclure, la situation est désastreuse économiquement parlant, mais comme nous sommes littéralement dans l’œil du cyclone, nous avons passé de bonnes vacances.
Immobilier en Chine : encore de grandes secousses à prévoir
Son secteur immobilier va connaître des secousses et la façon de gérer cette crise par le pouvoir en place va être très importante. À l’heure actuelle, le secteur de l’immobilier pèse la bagatelle de 5 500 milliards de dollars et nous comptons dans les 350 milliards de crédit en risque de défaut de paiement. Mais attention, là encore, ces défauts de paiements ne viennent pas seulement de l’incapacité à payer que du mécontentement des ménages qui commencent à refuser de payer, car leur logement n’est pas fini ou alors livré avec trop de défauts de construction.
Il y a donc une réelle crise du secteur qui a du mal à digérer le changement de régime et il va falloir que les Chinois croisent les doigts pour que le pouvoir gère tout cela convenablement. Par ailleurs, de ce côté, la Chine dispose déjà de l’expérience des subprimes américains, donc ils ont toutes les cartes en main pour s’adapter.
Si la Chine n’avait que ce problème, cela ne serait pas inquiétant. Par contre, si l’on ajoute les tensions autour de Taiwan, c’est bien autre chose. Aujourd’hui, la Chine a du temps pour elle. Par contre, si l’on considère les ambitions de la Chine pour ne pas dire de Xi Jinping concernant Taiwan, il est à craindre qu’elle ne hâte un peu trop les choses. Il ne faudrait pas que cela devienne son talon d’Achille.
Taiwan : au cœur d’un problème à plusieurs dimensions
En termes de géographie, Taiwan est une base avancée sous influence américaine. C’est presque un porte-avions naturel pour les USA en cas de conflit. Par ailleurs, Taiwan est aussi un goulot d’étranglement des économies modernes, car c’est le fer de lance de la production de semi-conducteurs de haute qualité. Bloquer Taiwan, c’est bloquer l’économie mondiale. Cependant, Taiwan cristallise le besoin de reconnaissance de la puissance chinoise. Que l’on soit d’accord ou pas, si la Chine réussit sur sa lancée à devenir la première économie mondiale durablement, Taiwan finira chinois.
D’une part, c’est une raison historique, car une réunification de Taiwan serait la 2e mort symbolique de Tchang Kaï Chek, qui était le principal opposant chinois à Mao Zedong, ayant fui à Taiwan pour préserver une Chine libérale et résistante au communisme en 1949.
D’autre part, cela reviendrait à achever un énorme pôle d’influence occidentale, pour ne pas dire américaine, en Asie. Tout cela est très tentant pour l’économie chinoise et ce n’est pas pour rien que depuis 20 ans, Hong Kong et Taiwan sont les deux grosses reconquêtes en vue du régime chinois.
Mais voilà, si cet objectif venait à être réalisé trop tôt, cela pourrait porter fortement atteinte à la Chine à cause de la rupture à la russe des relations entre l’occident et la Chine. Cela pourrait également porter atteinte à la stabilité du pouvoir en Chine, dont le système politique est de plus en plus associé à la personne de Xi Jinping. Or, l’histoire nous enseigne régulièrement que le pouvoir corrompt et rend dément. Reste à savoir à quel stade en est Xi Jinping. Est-il toujours visionnaire ou désormais aliéné par ses ambitions d’empereur asiatique ? Les victoires ou les défaites définiront sûrement le résultat de cette analyse, tant l’histoire est écrite par les vainqueurs.
Cela étant, c’est pour cela que nous sommes prudents sur la Chine en ce moment. C’est toujours une part non négligeable dans nos portefeuilles, mais aujourd’hui, nous en avons moins que des obligations américaines.
Économie chinoise : en résumé
Que ce soit la Chine, l’Europe ou les USA ou même le Bitcoin, l’or ou les actions, peu importe, car nous sommes persuadés qu’un bon investisseur ne doit jamais tomber amoureux de ses idées. Premièrement, il est assez égocentré de penser que l’on voit la vérité à travers les actifs que l’on détient. Ensuite, comprendre et désirer sont deux choses différentes. Si notre cœur est implacablement attiré par la Suisse et sa démocratie directe ainsi que par l’esprit entrepreneurial américain, notre esprit se charge de remettre les choses en perspective en proposant une vision sous la forme d’une grande carte stratégique et complexe du monde.
En toute chose, nous pensons qu’il faut choisir ses actes en fonction de leur impact. Lorsque nous songeons à l’éducation de nos enfants et à notre famille, nous choisirons toujours les USA ou la Suisse sur tout autre pays, car l’impact de nos décisions à cette échelle est très fort. Dans ce cas, nous souhaitons avoir raison sur les valeurs que nous défendons et que nous voulons transmettre.
Par contre, à l’échelle de nos investissements, nos opinions et nos idéaux n’ont aucune espèce de conséquence sur les grands équilibres du monde. C’est pour cela que nous n’avons aucun problème à investir partout où cela reste légal et possible. Nous préférons comprendre et nous adapter. C’est pourquoi hier, nous étions principalement en obligation chinoise. Aujourd’hui, elles passent au second plan, derrière les obligations américaines, car elles sont un refuge de meilleure qualité en temps de crises aigües. Nous avons également des cryptos et peut-être que, dans quelques années, nous en posséderons beaucoup moins, ou inversement.
Ainsi, la Chine a effectivement de nombreuses cartes à jouer et elles sont fortes. Par contre, elle pourrait largement prendre beaucoup de retard si elle s’engageait dans des conflits qui tournent mal. Idem si elle néglige un peu trop la gestion de sa transition démographique. En ce sens, faites attention et restez agnostique en matière d’investissements.
Richard Détente