Comprendre le rôle d’une banque centrale dans l’économie d’un État

23 juin 2022

Les banques centrales sont accusées d’être irresponsables pour de nombreuses raisons, notamment dans la monétisation de la dette qui a littéralement fait exploser les bilans des États. Ces décisions ont été prises pour couvrir une mauvaise gestion des politiques monétaires et tout cela conduit naturellement à la perte de la valeur de la monnaie. Bref, les banques centrales, nexus du pouvoir, concentrent les critiques à juste titre. Pour autant, il est important de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. On peut se demander à quoi sert une banque centrale ? Pourquoi les banques centrales ont été inventées ? Et comment fonctionnent les banques centrales ? Toute déconstruction d’un modèle nécessite que l’on s’interroge sur sa nature en premier lieu, non ?

Totalité des actifs des grandes banques centrales

Depuis 1900, le dollar a été démonétisé de 95 % et l’euro a déjà perdu près de 40 % de sa valeur.

Pouvoir d’achat d’un euro de 2000 à 2020

Enfin, il faut ajouter à cela la corruption des élites qui affecte tout groupe d’individus un peu trop longtemps exposés au pouvoir et à l’argent.

Comme le disait très justement Lord Acton : « Le pouvoir corrompt et un pouvoir absolu corrompt absolument ».

Quelle est la fonction d’une banque centrale ?

Il faut comprendre que la gestion de la monnaie est quelque chose d’aussi compliqué que la mise en place d’un système monétaire.

La banque centrale d’Angleterre, qui date de 1694, a été créée pour faciliter le financement de l’État. Lorsque vous êtes un État et que vous voulez emprunter de l’argent, disposer d’une banque centrale est très utile pour la mise en place d’un marché obligataire.

Banque d’Angleterre dans les années 1900

Aux États Unis, le processus d’installation de la FED (la réserve fédérale) a été tumultueux et répondait à la nécessité d’harmoniser le système bancaire. Avant la FED, il y avait une myriade de systèmes bancaires locaux avec leurs propres monnaies, ce qui posait de légers problèmes.

Une banque centrale permet donc d’asseoir le pouvoir d’un État. Indépendante ou non, une banque centrale reste au service de son État de tutelle.

Aparté : l’importance de l’évolution technologique dans l’investissement financier

Je me permets de faire ici une digression pour mettre les choses en perspective. Aujourd’hui, grâce à Internet, je pense que nous pourrions trouver un grand intérêt à une concurrence monétaire, car l’information voyage instantanément ou presque. Pensez bien qu’une des raisons de la gravité de la crise des années 30, c’était la lenteur de circulation de l’information. Lorsque New York ouvrait à la baisse, l’information voyageant beaucoup moins vite, il fallait plusieurs heures voire plusieurs jours pour en être informé. Les investisseurs de San Francisco par exemple avaient le temps de stresser car ils avaient les informations bien plus tard.

L’information était également traitée beaucoup moins vite. On a du mal à se l’imaginer aujourd’hui, mais lorsque vous viviez au début du 20e siècle, vous faisiez vos moyennes mobiles et tous les traitements statistiques à la main. Bon courage pour prendre de bonnes décisions sur la base de la technique du doigt mouillé appuyé par un contrôle au pif-o-mètre.

À l’inverse, aujourd’hui si nous pouvions créer des monnaies multiples sur une seule zone économique, le taux de change entre ces monnaies nous apporterait de précieuses informations. Pour ceux que cela intéresse, François Rodier en parle très bien dans son livre sur la thermodynamique de l’économie.

Les effets dévastateurs de mauvaises politiques monétaires

Le pouvoir monétaire permet de lever des impôts, sans le faire directement par l’impression monétaire. En effet, prélever des impôts nécessite d’aller chercher l’argent directement dans la poche des citoyens ou des sujets. À l’inverse, imprimer de l’argent peut se faire de façon manifeste, comme ce fut le cas avec les impressions monétaires massives lors de la crise du COVID, ou discrètement lorsque vous ne voulez pas que cela se voit.

La dernière option est souvent celle qui se produit lorsque un État emprunte de l’argent à sa banque centrale en jurant qu’il remboursera un jour. Or, l’Histoire nous apprend que le non remboursement des dettes des États est la règle et non l’exception.

1915-2015 : 100 ans de défauts de remboursement de la dette souveraine, de restructuration de la dette et de renflouements bancaires internationaux

Il faut aussi reconnaître que l’impression monétaire peut permettre à un État de traverser certaines crises. Pour aller à l’extrême, l’URSS aurait duré beaucoup moins longtemps si les soviétiques n’avaient pas fait tourner la planche à billets.

La Banque nationale suisse : un rare exemple de bonne gestion des finances publiques

Un judicieux contrôle du taux de change

Regardons la BNS, la Banque nationale suisse, qui est l’une des rares banques centrales bien gérée. En un mot, la BNS protège plutôt bien l’économie suisse et notamment son industrie. De plus, elle enrichit la Suisse.

Ce graphique présente deux courbes :

  • la bleue correspond au montant des réserves de changes en dollar ;
  • la rouge c’est le taux de change entre le dollar et le franc Suisse.

Au-delà des crises passagères comme au début des années 80 ou en 2011, le montant des réserves de change correspond à l’appréciation du taux de change. Ce que l’on appelle les réserves de change en dollar, ce sont les dollars détenus par la BNS.

Dit simplement, comme la Suisse est un pays économiquement bien géré, les malheureux possesseurs de dollars ou d’euros achètent régulièrement du franc suisse pour protéger la valeur de leur épargne, ce qui pousse le franc suisse à la hausse.

Le problème c’est que la Suisse est un petit pays de 8 millions d’habitants et tout mouvement de capitaux sur le franc suisse met en danger l’industrie helvétique, car elle a de plus en plus de mal à exporter au fur et à mesure que sa monnaie s’apprécie.

Donc la BNS, bien consciente du problème, amortit la hausse du franc suisse en imprimant de la monnaie pour acheter des dollars afin d’accompagner la demande.

Cette création monétaire permet d’amortir la hausse du taux de change et de laisser le temps à l’industrie suisse de s’adapter. Comprenons-nous bien, s’adapter consiste à faire un maximum d’efforts pour produire toujours mieux à des prix plus bas pour rester compétitif. C’est loin d’être simple d’exporter des produits fabriqués en Suisse quand le salaire minimum est à plus ou moins 4 500 dollars par mois selon les cantons.

Une autre vision du travail

En Suisse, le temps de travail est de 42h pour les non cadres et 70 % des jeunes partent en apprentissage plutôt qu’à la fac en histoire de l’art. Au final, le chômage est à 3 % car tout le monde est grandement incité à travailler et le travail appelle le travail.

Cette digression a pour but de vous montrer que ce n’est pas la BNS qui fait la fortune de la Suisse, mais bien le travail et la rigueur tout droit issus de la Suisse allemande.

La maîtrise de l’inflation

Lorsque la pression sur le franc suisse est trop forte, la Banque nationale suisse imprime de la monnaie et achète des dollars. Les francs suisse créés ne font pas d’inflation, car il s’agit d’épargne pour les étrangers qui les placent immédiatement dans le système financier.

Le seul endroit où il y a une inflation, c’est sur le prix des actifs, car la BNS est obligée de caler ses taux d’intérêts sur la banque centrale européenne, sous peine de voir affluer littéralement tout l’argent du monde vers elle. C’est pour cela qu’en Suisse, les taux d’intérêts sont négatifs à – 0,75 %. Cette anomalie sur les taux d’intérêts vient directement impacter les prix de l’immobilier qui sont simplement stratosphériques.

Pour autant, grâce aux dollars achetés gratuitement par la BNS si je puis dire, la BNS achète de l’or, des obligations américaines et chinoises, ainsi que beaucoup d’actions sur les marchés US.

La Suisse est l’un des plus gros actionnaires des GAFA, sans que cela lui ait coûté un sou. Voilà comment une banque centrale peut être utile.

Si la Suisse ne disposait pas de la BNS, le taux de change aurait explosé et l’industrie suisse aurait subi de lourds dommages. Ce fut le cas de l’Espagne lorsque les conquistadors ont ramené des quantités d’or incroyables suite à la conquête de l’Amérique. L’Espagne à cette époque s’est tout simplement désindustrialisée car il y avait trop d’argent disponible.

Mais alors, si avoir une banque centrale bien gérée est un avantage, pourquoi est-ce si rare ?

Les raisons de la bonne gestion de l’économie en Suisse

Fondamentalement, je pense que le problème ce n’est pas le modèle des banques centrales mais bien la faiblesse du cœur humain. Lorsque l’on concentre le pouvoir, que ce soit en politique ou dans une banque centrale, la corruption gangrène l’institution. J’en conclus, et c’est un avis personnel, qu’individuellement l’être humain n’est pas apte à gérer ce qui le dépasse.

Alors pourquoi est-ce que cela marche en Suisse ? Je pense que cela est permis grâce à la démocratie directe. Le pouvoir est très fragmenté entre les communes, les cantons et seulement en dernier ressort la confédération.

Voici deux exemples pour illustrer mon propos :

  • Beaucoup de Suisses ne connaissent pas le président en exercice car il a peu de pouvoir et son mandat est d’une année.
  • La majorité des parlementaires cantonaux ont un travail à côté de leur rôle politique, car député cantonal ça ne paye pas assez. C’est ce que l’on appelle des parlements de milice.

Je vous disais bien que c’était pas pareil qu’en France !

Je pense que le dégonflement du pouvoir central est imputé à la décentralisation du pouvoir vers le peuple qui vote directement tous les 3 mois environ par référendum.

Mais fondamentalement, d’où vient la création de valeur de ce gros millier de milliards de dollars de réserves de change acquis par la BNS ? Est-ce simplement de l’argent créé avec de l’argent ? Dit autrement est-ce qu’une banque centrale peut créer de la valeur en imprimant de l’argent  ?

Eh bien c’est là que l’on touche le cœur du rôle d’une banque centrale.

Le rôle de la Banque nationale suisse dans la protection de l’industrie

Pour simplifier à l’extrême, le taux de change est le résultat des échanges financiers et des échanges commerciaux. Si la BNS laissait filer le taux de change du franc suisse à cause de la pression financière exercée par les investisseurs du monde entier, cela mettrait à mal Nestlé (par exemple) lorsqu’ils essaient de vendre des yaourts à l’étranger.

La BNS fait donc office d’arbitre. Elle détruit un peu la valeur du franc suisse en imprimant des billets, afin que Nestlé puisse continuer à vendre ses yaourts à l’extérieur du pays. Si la balance des échanges commerciaux devenait mauvaise, c’est-à-dire si la Suisse devenait un pays importateur plutôt qu’un pays exportateur, cela finirait par affecter son taux de change. Le tissu économique en serait affecté et cela engendrerait plus de chômage et de déséquilibres sociaux.

Entre la triste expérience espagnole et celle de l’euro, les exemples de politiques monétaires foireuses avec de lourds impacts ne manquent pas. La BNS participe donc à protéger l’industrie suisse en convertissant une partie de la valeur du franc suisse en réserves de change qui sont autant de créances sur le monde.

Au final, la BNS ne crée pas de valeur, elle convertit simplement une partie de la valeur du franc suisse en actifs au service de la richesse du pays. C’est la preuve d’une très bonne gestion.

La lettre d’investissement : la stratégie Grand Angle

Dans ma lettre d’investissement que je corédige avec Didier DARCET, nous basons notre stratégie sur deux piliers. Premièrement, chercher des zones économiques et des classes d’actifs qui ont un potentiel de hausse, comme les obligations chinoises, qui ne cessent de monter à mesure que l’actualité nous montre que le gouvernement chinois reste rigoureux avec la notion de faillite des entreprises privées. Le message envoyé par le gouvernement est clair, en Chine ce ne sont pas les contribuables qui paient les dérives de la finance mais bien les investisseurs et les dirigeants.

En voici une parfaite illustration :

Deuxièmement, nous basons notre analyse des marchés sur une gestion du risque. En juillet 2021, nous avions averti nos lecteurs que le jeu n’en valait plus la chandelle sur les marchés. Nous avions donc pris le parti de sortir pour investir sur des actifs qui ont rapporté 7,8 %, 13 % et 9,2 % en rendement annualisé depuis juillet 2021, sans s’être exposés aux marchés actions. Seul l’or a fait – 0,5 %, ce qui est assez décevant par les temps qui courent. Dans la lettre d’octobre, Didier vous présentait ses quadrants monétaires et pour ma part je vous présentais des supports d’investissements pour consolider nos bases pendant cette crise des marchés actions.

Voilà, j’espère que vous comprenez mieux à quoi peut servir une banque centrale bien gérée. La BNS avec quelques autres rares banques centrales sont des exceptions qui nous permettent de nous rendre compte que le problème n’est pas le modèle, mais bien la corruption de ces modèles.

Richard Détente

Sources :