Monnaie numérique de banque centrale : un cheval de Troie mal engagé

11 février 2022

Les cryptomonnaies fascinent grâce à leur facilité d’accès et leur rapidité d’échange. Les banques centrales voient bien que les cryptos séduisent un nombre grandissant d’utilisateurs. Alors elles en sont venues, au moins en théorie, à désirer leur propre monnaie numérique de banque centrale. Mais si on y réfléchit bien, qu’est ce qu’une cryptomonnaie cherche à faire par-dessus tout ? La grande promesse de la crypto-monnaie, c’est la disruption du système bancaire.

Blockchain vs. secteur bancaire

Les règles du jeu en cryptomonnaie

Une cryptomonnaie c’est de la valeur assimilable à une monnaie, mais qui se déplace sur Internet plutôt qu’au travers des réseaux bancaires. Il faut bien comprendre qu’en matière monétaire, il y a ce qui est légal et ce qui est réglementaire. La légalité s’impose par la Loi qui est applicable à tous ; alors que la réglementation du système bancaire s’applique aux banques.

Or, lorsque vous utilisez une crypto entre particuliers ou via des exchanges, une grande partie de la réglementation bancaire ne s’applique pas à vous. Est-ce que les banques centrales ont bien compris ce changement de fond ? Ont-elles vraiment la volonté de faire sauter le système bancaire tel qu’il existe aujourd’hui ? Commençons par nous poser une question que l’on se pose rarement : à quoi sert une banque ?

Le fonctionnement du système bancaire

Fondamentalement, le système bancaire est essentiellement un oligopole. Il est très difficile d’accès, car seule une petite quantité d’entreprises habilitées ont le droit de battre monnaie, d’ouvrir des comptes et de faire partie du cercle très restreint des « vraies banques ». Le statut de la banque est tellement ancré dans nos habitudes qu’il y a même un droit à disposer d’un compte bancaire dans un grand nombre de pays.

Le système bancaire justifie son privilège de protection étatique grâce à des services rendus tels que la gestion des paiements, la gestion des prêts et autres services financiers. L’inconvénient, c’est que ces prestations sont d’une qualité techniquement médiocre. De plus, petit à petit, les banques se sont bâti une forteresse juridique leur permettant d’exploiter toujours plus, et à leur profit, les informations qu’elles détiennent sur leurs clients.

Les liaisons dangereuses entre États et banques commerciales

Le copinage entre banquiers qui ont de l’argent et le monde de la politique a fini par créer un secteur très profitable pour une toute petite poignée d’individus. La contrepartie de cette situation de rente, c’est que les États tiennent les banques tout autant qu’ils sont tenus par ces mêmes banques. Ainsi, les États imposent indirectement aux banques commerciales de les financer.

Ce duo entre système bancaire et État finit par ressembler à un mariage consanguin qui pose d’énormes problèmes démocratiques. Quant aux services rendus à l’heure d’Internet, ils évoluent très lentement et sont terriblement inefficaces comparé à ce que nous pourrions faire avec la technologie dont nous disposons. Bref, c’est un secteur fossilisé et gangrené. S’il venait à exploser sous le coup d’innovations technologiques, ce n’est pas moi que cela fera pleurer de désespoir.

Dans ce contexte, je comprends parfaitement que les cryptos inquiètent le secteur bancaire, les États et les banques centrales. Par contre, ce que je trouve très intéressant, c’est le goût affiché des banques centrales qui développent leur propre monnaie numérique afin de concurrencer les cryptomonnaies.

Qu’est-ce qu’une monnaie numérique de banque centrale ?

Monnaie digitale de banque centrale : définition

Qu’est ce qu’une monnaie numérique de banque centrale ? Eh bien ce n’est pas une porte de sortie qui vous permettra d’échapper au contrôle de la monnaie par l’État, bien au contraire ! Une MNBC (Monnaie Numérique de Banque Centrale), c’est simplement un compte en banque directement à la banque centrale, par opposition à un compte dans une banque commerciale.

Je suis prêt à parier que ces MNBC ne seront jamais des monnaies décentralisées via les règles de gouvernance par consensus sur le réseau. Quant aux obligations réglementaires, elles ne risquent pas de diminuer, car votre banque centrale aura un accès totale sur vos informations financières. Même plus besoin de les demander à votre copain le banquier. Une MNBC résumée en une phrase, c’est un compte courant à la FED ou à la BCE ou à la Banque centrale de Chine.

Alors oui, elle sera sûrement plus efficace en terme de technologie de paiement, car on peut difficilement faire pire de toute façon. Mais si on pousse le raisonnement, est-ce que cela veut dire que l’on aura des cartes bleues émises par la FED ? Ou que la BCE vous proposera des prêts immobiliers ? Jusqu’à quel point les banques centrales vont-elles aller dans le business bancaire ? Jusqu’à quel point leurs copains banquiers vont trouver les MNBC rigolotes ?

L’accès à une monnaie centrale numérique par des particuliers

Gardez à l’esprit que les dépôts dans une banque classique c’est un peu le nerf de la guerre pour pouvoir opérer tous les autres services. Morgan Stanley nous apprend que les MNBC pourraient aspirer jusqu’à 8% des dépôts bancaires pour les transférer vers les banques centrales.

Par contre, l’intérêt pour les particuliers est évident. L’argent déposé sur un compte à la banque centrale les protège (en théorie) du risque de faillite d’une banque, en repoussant le risque à la faillite de l’État. De plus, dans l’économie, il n’y a pas plus kascher que de la monnaie de banque centrale. Avoir ses sous en MNBC vous garantit qu’ils seront acceptés partout.

Oups ! ça pourrait poser quelques petits problèmes, car je ne suis pas sûr que les banques centrales soient partantes pour disloquer l’industrie bancaire. De plus, n’oubliez pas que les dirigeants des banques commerciales sont un maillon décisionnel omniprésent dans les banques centrales.

La FED aux USA est d’ailleurs une organisation gérée à la fois par le public et le privé via les banques commerciales :

Quant à la BCE c’est à peu près le même principe, il s’agit d’une structure publique dont les actionnaires sont les États membres de l’euro mais là aussi les banques privées occupent la très grande majorité des sièges pour garantir, en théorie, l’indépendance de la BCE par rapport au pouvoir.

Avec une telle proportion de représentants des banques commerciales dans les banques centrales, je commence à comprendre pourquoi les MNBC aux USA et en Europe ne verront peut-être pas le jour tout de suite. Il risque d’y avoir du délai…

La lettre d’investissement : la stratégie Grand Angle

C’est pour ça que dans ma lettre d’investissement, que je corédige avec Didier DARCET et Guillaume ROUVIER, nous vous proposons une approche diversifié de votre portefeuille financier. Les cryptomonnaies en font partie et nous vous proposons une stratégie pas à pas pour rentrer progressivement sur ce nouvel actif. Nous cherchons à lisser votre point d’entrée, en vous appuyant sur des partenaires fiables, pour mettre en place un plan d’épargne en bitcoin. Par ailleurs, chaque mois nous vous donnons notre vision des marchés pour le mois à venir.

Le cas à part du yuan numérique

Mais alors, qu’en est-il de la Chine ? C’est vrai qu’ils ont bien une MNBC, le e-yuan, qui est en cours de diffusion par palier dans tout le pays. Pourquoi est-ce que ce cryptoyuan marche chez eux et pas chez nous ? Est-ce que la Chine veut tuer son système bancaire ? Bien sûr que non. Par contre, la différence avec les États-Unis et l’Europe, c’est que ce ne sont pas les banques privées qui possèdent la banque centrale, mais bien l’État qui est très influent dans les banques privées.

Mon avis là-dessus, et ce ne sont pas des certitudes mais uniquement un avis, c’est que la priorité absolue de la Chine c’est d’avoir un yuan fort, capable de chasser le dollar de sa zone d’influence. La place financière de Hong Kong étant notamment son cheval de Troie. Par ailleurs, le système bancaire et financier chinois est loin d’être aussi développé qu’aux États-Unis et en Europe. Leur industrie bancaire est récente par rapport à l’Occident. Je pense donc que la Chine voit bien les problèmes du système financier occidental et a décidé de ne pas tomber dans les mêmes travers.

La Chine va sûrement dissocier les fonctions de la monnaie. Il y aura d’un côté la gestion des avoirs qui passeront par le e-yuan, et de l’autre, la gestion des services financiers qui passeront par des intermédiaires privés. Est-ce que les banques privées sont enchantées de cette stratégie ? Je ne le pense pas. Est-ce qu’on leur demande leur avis ? Je ne le pense pas non plus.

L’affaire Jack Ma

C’est toute la leçon que l’on peut retirer de l’expérience personnelle de Jack Ma. Avec son entreprise Ant Group, qui détient Ali Pay, il voulait opérer du crédit en dehors des banques. Cette stratégie n’a pas du tout plu au pouvoir en place. Cela lui a valu de disparaître pendant trois mois, puis de revenir avec un avis bien plus modéré et proche de l’opinion du pouvoir sur la question.

La différence entre la Chine et l’Occident se trouve là. Le gouvernement chinois est capable d’imposer une stratégie aux acteurs privés. Car non seulement la dimension autocratique du pouvoir le lui permet, mais en plus les systèmes financier et bancaire sont bien moins développés. C’est ce qui permet à l’État chinois d’avoir encore la main.

Donc, l’existence d’une MNBC en Chine ne me choque pas, mais pour ce qui est des USA et de l’Europe, je pense que l’on est pas sur les mêmes échéances…

Pour plus d’informations sur les cryptomonnaies centrales en Occident, cliquez sur la vidéo !

Richard DÉTENTE