Dollar en péril : Les BRICS bouleversent l’ordre monétaire

27 septembre 2023

La révolte des BRICS contre le dollar

Le 24 août 2023, s’est tenu le 15e Sommet des BRICS à Johannesburg, en Afrique du Sud. À l’ordre du jour figuraient des discussions sur l’élargissement des BRICS et la dédollarisation du monde non occidental. C’est assurément une thématique dense ! Quelle est l’opinion à avoir à cet égard ? S’agit-il d’une simple contestation ? Non, il s’agit bel et bien d’une révolution. Au-delà des déclarations, peut-on considérer ce projet comme réaliste ? Le dollar demeure une monnaie étayée par une industrie financière aussi robuste que technologiquement avancée. De plus, que signifie réellement l’extension des BRICS à de nouveaux membres lorsque l’on sait que les membres actuels éprouvent d’énormes difficultés à coordonner leurs actions, compte tenu de leurs origines éloignées ?

Dans de telles circonstances, il est impératif de revenir constamment aux principes fondamentaux pour déterminer les objectifs sous-jacents des BRICS. Quels problèmes cherchons-nous à résoudre en établissant une monnaie commune ou un système monétaire partagé, et pourquoi envisager de nouveaux membres tels que l’Arabie saoudite et l’Iran, qui entretiennent des relations tendues depuis de nombreuses années ? Peut-on reléguer au second plan ce conflit, essentiellement de nature religieuse, puisque l’Arabie saoudite est sunnite et l’Iran chiite, face à la promesse du projet des BRICS ?

BRICS vs Occident: la guerre du Dollar ($) – Pourquoi est-ce si important ?

Les BRICS s’unissent contre l’hégémonie du dollar occidental ?

Tout d’abord, notons que le principal argument en faveur de l’union des BRICS réside dans la nécessité de se détacher de l’influence américaine. Le pouvoir monétaire des États-Unis, qui perturbe considérablement les économies en développement ayant des monnaies fragiles, est un point central à considérer. Pour les nations en développement en quête d’une croissance vigoureuse, le problème d’un monde largement dominé par le dollar réside dans le fait que leur économie peut être durement touchée par les fluctuations des taux de change et des taux d’intérêt.

Un exemple marquant de cette réalité est la crise asiatique de 1998, un électrochoc majeur dont la Chine a tiré des enseignements précieux. La situation était relativement simple : dans les années 90, l’Asie connaissait une croissance économique soutenue, mais elle s’endettait en dollars pour financer cette expansion. En d’autres termes, la région importait bien plus qu’elle n’exportait, ce qui fragilisait ses réserves en devises étrangères, notamment en dollars. Cette dépendance au dollar a exacerbé les effets de la crise.

Pour rembourser les intérêts d’une dette libellée dans une monnaie étrangère, il fallait générer des rentrées d’argent dans cette même monnaie étrangère, en l’occurrence le dollar. Plus les pays asiatiques se livraient à des opérations de change pour convertir leurs yuans ou autres devises en dollars afin de payer les intérêts, plus leur taux de change se détériorait, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent en situation de défaut de paiement. Cela les contraignait à solliciter l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) pour restructurer leurs finances.

En substance, le FMI se présentait pour offrir un prêt destiné à combler le manque de fonds, mais en contrepartie, ces nations devaient rétablir leurs comptes extérieurs, ce qui les plongeait dans une crise économique sévère. À partir de là, la valeur de leurs actifs locaux, tels que les ports, chutait considérablement, et il arrivait souvent que des investisseurs américains les acquièrent à prix modique.

Dollar et la Chine : une relation complexe

Il est essentiel de noter que les Chinois ont tiré une leçon essentielle de cette expérience, bien que celle-ci soit teintée d’amertume. À partir de ce moment-là, la Chine a pris la décision de maximiser ses réserves en dollars et de devenir l’atelier du monde, avec pour objectif de devenir le plus grand détenteur de dollars au niveau mondial. Ce processus a indéniablement porté ses fruits, comme en témoigne l’exemple chinois. Cependant, il est à noter que cela a nécessité des sacrifices considérables, avec toute une génération de travailleurs chinois qui a dû supporter les conséquences de cette adoration envers le dollar. Le dollar demeure donc une composante cruciale de la stratégie financière chinoise.

Concrètement, cela signifie que la Chine a dû exercer une forte compression sur ses coûts pour vendre sa production à l’Occident à des prix extrêmement compétitifs, en dévaluant délibérément le yuan pour soutenir sa croissance économique. Parallèlement à cette démarche, la Chine s’est également efforcée de promouvoir le yuan comme monnaie de référence au sein de sa zone d’influence, que l’on pourrait qualifier de « Chine étendue ». Les comptes courants en dollars ont ainsi enregistré une hausse significative, et la Chine a travaillé activement à faire converger les taux de change en Asie autour du yuan, dans le but de faciliter des accords de prêts entre les pays de la région, contribuant ainsi à la dédollarisation du monde non occidental.

En conséquence, l’Asie a connu un développement notable, tandis que le marché obligataire chinois a fini par surpasser de manière significative les rendements offerts par les marchés obligataires américain et français. Je tiens à exprimer ma satisfaction, car depuis octobre 2018, j’ai recommandé les obligations chinoises. Pour ceux d’entre vous qui ont suivi ce conseil, cela signifie des gains d’environ 50 % de plus par rapport aux obligations françaises.

Si vous êtes intéressé par la possibilité de profiter des portefeuilles élaborés par Didier Darcet, tout en bénéficiant d’explications détaillées sur ces mécanismes financiers à l’échelle mondiale, nous avons préparé une formation gratuite par e-mail sur 7 jours. Cette formation vise à vous aider à faire le point sur votre patrimoine et à mieux comprendre notre monde financier.

A quoi sert une monnaie d’Etat et une Banque Centrale ?

Cela nous amène à une question cruciale : pourquoi les BRICS souhaitent-ils et ont-ils besoin d’un marché obligataire ? Et si cela s’avère si utile, pourquoi la Russie a-t-elle décidé de liquider le sien en remboursant scrupuleusement toutes ses dettes entre 2014 et 2019 ? Pour bien comprendre cette dynamique, il est essentiel de saisir le rôle d’une monnaie nationale et celui d’une banque centrale.

De manière générale, l’or a traditionnellement servi de monnaie universelle, un consensus monétaire largement accepté. Toutefois, si un pays ne dispose que de l’or comme réserve monétaire et que cette réserve vient à s’épuiser, cela peut entraîner une crise économique majeure en raison du manque de monnaie. Des situations de ce genre se sont produites en Espagne au XVIe siècle, aux États-Unis au XIXe siècle, ou encore en Grèce au début des années 2010, si l’on remplace le mot « or » par « euros », sachant que dans ce dernier cas, il s’agissait d’une monnaie que la Grèce ne pouvait pas contrôler.

Par conséquent, les États ont rapidement compris qu’avoir leur propre monnaie nationale leur permettait de réguler leur activité économique et de prévenir les crises économiques liées à des troubles monétaires. Le principal levier d’une monnaie nationale réside dans la création monétaire. Cependant, un levier encore plus puissant réside dans le marché de la dette, c’est-à-dire la mise en place d’un marché obligataire. C’est sur cet aspect que la Chine et la Russie se sont concentrées au cours des quinze dernières années.

La Russie a choisi de fermer son marché obligataire en prévision de tensions accrues avec l’Occident suite aux événements de Maïdan en Ukraine. En revanche, la Chine s’est attelée à structurer et à ouvrir légèrement le sien. Ce marché permet aux États de déterminer le coût du temps sur leur monnaie, ce qui leur permet de contrôler la quantité de monnaie en circulation. En ajustant les taux d’intérêt, vous créez une manette de contrôle sur le taux de change lorsque vous attirez des capitaux étrangers dans votre pays, ou vous pouvez influencer l’activité économique nationale en jouant sur les capitaux provenant de vos citoyens.

La Chine a ainsi utilisé son marché obligataire à deux fins majeures. Premièrement, elle a incité sa population à épargner en relevant les taux d’intérêt, ce qui a également accru le coût d’accès au crédit pour les entrepreneurs. Cela a exercé une pression considérable sur les entreprises, ne laissant place qu’aux plus efficaces. C’est l’une des raisons majeures pour lesquelles le marché boursier chinois ne semble pas refléter la croissance économique, car il est marqué par une forte volatilité due à la politique monétaire chinoise qui n’hésite pas à sanctionner sévèrement l’économie pour préserver la monnaie.

En contrepartie, les épargnants investis dans les obligations chinoises sont bien protégés car l’économie chinoise est résistante. Cette approche favorise donc un tissu économique sain et renforce la confiance dans l’épargne. Cependant, il y a un inconvénient : cela peut attirer des capitaux étrangers à la recherche de rendements attractifs, ce qui fait monter la valeur de la monnaie nationale, comme ce fut le cas pour le Deutsche Mark avant l’euro en Europe.

C’est à ce moment-là que le deuxième levier, la création monétaire, entre en jeu. En émettant davantage de sa propre monnaie, le pays fait baisser sa valeur sur le marché et contrôle ainsi son taux de change. La Chine a longtemps utilisé ce levier pour maintenir la compétitivité de son industrie. Cependant, cela a eu pour effet de réduire le pouvoir d’achat de sa population pour les produits importés. Néanmoins, la Chine a investi ces fonds dans des infrastructures pour moderniser le pays sur une période de trente ans. Par conséquent, bien que les Chinois n’aient pas eu accès aux BMW, ils ont rapidement quitté le vélo pour la voiture. La population a finalement bénéficié de cette transformation, car 200 millions de personnes ont pu quitter les zones rurales pour les villes et obtenir des emplois avec la promesse d’un avenir meilleur pour leurs enfants.

C’est là toute la puissance d’un marché obligataire. Contrairement à ce que peuvent prétendre les fervents défenseurs de l’or ou les maximalistes du Bitcoin (car ils partagent essentiellement la même philosophie), un État moderne et bien géré a besoin d’un marché obligataire et, par conséquent, d’une certaine dette. Cependant, vous pourriez vous demander pourquoi nous répétons sur Grand Angle que la France et les États-Unis sont trop endettés et que cela les affaiblit progressivement ?

La réponse est simple : l’Occident a accumulé une dette extérieure pour financer sa consommation intérieure, tandis que la Chine a contracté une dette intérieure pour financer des infrastructures et l’implantation d’usines occidentales. Cette relation est donc en miroir, car le financement de notre consommation a permis à la Chine d’importer nos usines chez elle. Inévitablement, l’un en tire profit, tandis que l’autre en subit les conséquences.

Faut-il s’endetter pour se développer ?

Effectivement, pour une économie saine, la nécessité d’un marché obligataire ne signifie pas automatiquement que le pays doit s’endetter massivement, comme le prêchent parfois les économistes issus de la Sorbonne. La Suisse nous offre un exemple intéressant à cet égard. Pour créer de la dette sans être lourdement endetté, voici la méthode de la Banque nationale suisse (BNS).

Comme le franc suisse augmente en valeur, étant perçu comme une valeur refuge en Europe, la BNS a entrepris de freiner son appréciation, ou du moins de ralentir son ascension, afin de permettre à l’industrie suisse (qui représente plus de 20 % du PIB) de s’adapter. La BNS a émis des francs suisses sous forme d’obligations. Cependant, comme les Suisses, en particulier les banquiers suisses (surnommés « les gnomes de Zurich »), n’apprécient pas vraiment s’endetter, la BNS a utilisé les dollars provenant de l’émission des obligations suisses pour acquérir divers actifs.

Initialement, elle a investi dans de l’or, puis dans des obligations chinoises, puis, après avoir exploré ces différentes classes d’actifs, elle a acheté des actions de sociétés de la Silicon Valley. Ainsi, la BNS est devenue une institution débordante d’actifs prisés qui servent de contrepartie aux dettes émises. La BNS paie un taux d’intérêt de 1,3 % par an sur ces obligations et génère des revenus substantiels grâce à ses investissements à l’étranger. Chaque année, les cantons suisses attendent avec impatience les dividendes versés par la BNS, qui contribuent à les enrichir.

À titre anecdotique, en 2022, en raison de la volatilité des actions, la BNS a essuyé des pertes ponctuelles et n’a pas pu distribuer ces dividendes comme d’habitude. Certains cantons ont exprimé leur mécontentement en déclarant que cela avait causé des déficits en raison de mauvais investissements. Cependant, ils ont été fermement réprimandés et rappelés à l’ordre, car les excédents de la BNS ne sont pas destinés à combler les déficits, mais plutôt à servir de « bonus ». Les cantons mal gérés ont donc dû faire face à l’ire du public lorsqu’ils ont annoncé des hausses d’impôts pour compenser leur mauvaise gestion.

En fin de compte, tout cela souligne qu’un pays riche et bien géré peut parfaitement avoir un marché obligataire représentant jusqu’à 30 % de son PIB, c’est-à-dire de la dette, sans pour autant être endetté de manière préoccupante. La clé réside simplement dans la distinction entre les véritables investissements et la consommation.

Le cas de la Russie : un pays sans dettes

De manière réciproque, pendant cette même période, la Russie, qui se préparait à un conflit potentiellement long avec l’Occident, a considérablement réduit son engagement international en optant pour une politique plus conservatrice, notamment en s’appuyant sur l’or. Les raisons de cette stratégie sont expliquées en détail dans une vidéo que j’ai partagé en mai 2022. En effet, le problème inhérent au marché obligataire réside dans la nature contractuelle de ses engagements. Par conséquent, lorsque l’on envisage une éventuelle invasion d’un pays voisin, il est préférable de minimiser les liens financiers avec les nations que l’on risque de mécontenter. Ainsi, il convient de retenir que lorsqu’un pays rembourse sa dette en déstabilisant son marché obligataire international, cela peut résulter soit d’une incompétence, soit d’une préparation en vue d’un conflit imminent.

La valeur de la monnaie

Tout ceci vise à souligner l’importance de considérer, lors de toute réflexion sur la monnaie, que la valeur d’une devise est intrinsèquement constituée de deux éléments distincts. Il y a tout d’abord la valeur nominale de la monnaie et son taux de change, puis il y a la valeur potentielle qu’un billet peut générer s’il est placé auprès de la banque centrale, à travers le taux d’intérêt de son marché obligataire. Ce qui peut sembler le plus étonnant, surtout à long terme, c’est que la valeur d’une monnaie fiduciaire telle que le dollar, de l’or et du pétrole en tant que représentants des prix de l’énergie, finit par converger. Il est courant d’entendre que le dollar a perdu près de 90 % de sa valeur au cours des dernières décennies, que ce soit en comparaison avec l’or ou tout simplement en raison de l’inflation. Cependant, cette assertion est trompeuse dans la mesure où elle néglige l’impact des taux d’intérêt au fil du temps. Si l’on prend en compte les intérêts accumulés sur la même période, une observation différente se dégage. À l’échelle de 110 ans, à long terme donc, il est remarquable de constater que la valeur de l’or, du dollar et de l’énergie converge de manière remarquable. Néanmoins, cette convergence est uniquement valable à long terme, car sur une décennie, les écarts peuvent s’avérer considérables. En comprenant que la monnaie fiduciaire d’un État souverain, associée à son marché obligataire et à sa banque centrale, représente essentiellement un instrument financier destiné à piloter son économie, nous saisissons plus clairement la philosophie sous-jacente au projet des BRICS.

Le véritable projet des BRICS

Pourquoi consentiraient-ils à endurer la domination financière du dollar en tant que dommage collatéral pour la gestion de leur propre nation ? Cela suggère-t-il que les BRICS aspirent à une monnaie unique ou commune ? Rien n’est moins sûr, car une compréhension approfondie de la fonction d’une monnaie conduit à la conclusion qu’une monnaie internationale unique pour gouverner le monde n’est pas une idée brillante, car elle engendre le paradoxe de Triffin. En tant que détenteur de la monnaie mondiale, vous êtes confronté à un dilemme : soit vous émettez excessivement de la monnaie pour répondre à la demande mondiale, creusant ainsi vos déficits, soit vous réduisez ces déficits, provoquant ainsi des crises récurrentes dans le monde. Dans les deux cas, la situation est précaire. Pourquoi, alors, cette décision lors du Congrès de Bretton Woods ? La réponse est simple : c’était une erreur, mais elle a consolidé la suprématie des États-Unis, qui étaient alors à leur apogée.

Les BRICS, notamment la Chine, ont une parfaite compréhension de cette réalité. Par conséquent, il serait imprudent de supposer qu’ils nourrissent des ambitions pour une monnaie unique. En réalité, ce que nous observons, malgré les défis que cela implique, c’est que les BRICS cherchent à conclure des accords entre eux afin d’équilibrer au mieux leurs échanges, de manière à ce que chaque nation puisse conserver sa propre monnaie sans recourir à une devise supranationale, ce qui poserait des problèmes analogues à ceux du dollar à l’échelle mondiale ou de l’euro au sein de l’Union européenne.

Nous vivons actuellement une période fascinante où les BRICS s’efforcent de résoudre un dilemme financier, à savoir garantir un commerce équilibré entre leurs membres. Cependant, cela signifie que chaque pays souhaitant importer de l’énergie de Russie et du Golfe, ainsi que des produits de haute technologie de la Chine, doit également réfléchir à ce qu’il peut exporter en retour afin d’éviter de s’endetter de manière insoutenable à long terme. Étant donné que le développement de leur industrie financière n’est pas avancé et que la correspondance entre les besoins d’importation et d’exportation est complexe, leur tâche est extrêmement ardue. Toutefois, ils abordent le problème fondamental.

De plus, les technologies actuelles de l’information, en particulier Internet associé à une puissance de calcul inégalée dans l’histoire de l’humanité, leur offrent la possibilité de concevoir des systèmes de compensation beaucoup plus sophistiqués et complexes qu’en 1945. Ainsi, nous sommes témoins de l’écriture d’un nouveau chapitre palpitant de l’histoire économique.

Enfin, pour comprendre comment la France, au contraire, s’est appauvrie industriellement, je vous invite à consulter la vidéo ci-dessus. Vous y découvrirez aisément pourquoi ce n’est pas la Chine qui nous a précipités dans cette situation, mais comment la France a volontairement fait un pas en arrière, sous l’impulsion de ses esprits les plus brillants issus des grandes écoles d’administration économique.

Richard Détente