La Russie a annoncé le mardi 30 août 2022, qu’elle couperait l’intégralité de ses approvisionnements en gaz à l’énergéticien français Engie. Cette situation offre une occasion de discuter des conséquences économiques envisageables, ainsi que du problème persistant de l’euro qui n’a pas disparu. Il ne faut pas oublier que fondamentalement, la machine économique de l’Union européenne connaît des divergences, ce qui a créé des déséquilibres qui s’accentuent avec le temps. À présent, la crise énergétique qui frappe l’Allemagne de plein fouet ne fait qu’aggraver cette situation.
L’Euro comme fédérateur économique et politique
Globalement, voici une vue d’ensemble : l’euro, instauré en 1998, a pour objectif de favoriser la convergence économique des pays européens afin de faciliter leur intégration politique. Depuis le début, l’objectif de l’euro a toujours été d’atteindre une union fédérale, ce qui implique la disparition des nations constituant la zone euro. En adoptant l’euro, tous les pays de la zone devaient avoir un taux de change fixe, ce qui signifie que chaque pays devrait soit s’aligner en termes de compétitivité économique, soit s’appauvrir. Le pari était que la menace de l’appauvrissement pousserait les pays à se réformer. Cependant, vingt ans plus tard, nous constatons que les fondamentaux économiques entre les pays du sud et ceux du nord de la zone ne convergent pas, mais divergent.
Et lorsque je dis « divergent », c’est un écart énorme, comme le montre le solde de la balance des paiements ci-dessus, appelé TARGET2 pour simplifier. Retenez simplement qu’elle reflète la fragmentation des économies européennes entre les pays du nord et du sud. L’Allemagne, à elle seule, concentre la majeure partie des excédents commerciaux de la zone euro. Ce graphique historique montre que la balance commerciale de la zone euro est généralement positive. Cependant, sachant que la majorité des exportations sont réalisées par l’Allemagne, vous pouvez en conclure qu’un ralentissement de l’économie allemande entraînerait la balance commerciale de la zone euro dans le rouge. Maintenant, examinons dans quelle mesure l’Allemagne sera touchée par la crise énergétique actuelle. Nous reviendrons ensuite sur l’euro.
L’Allemagne à la merci de la Russie dans un contexte de crise énergétique
La dépendance de l’Allemagne vis-à-vis du gaz russe et la crise énergétique qui en découle sont dramatiques. Environ 40% du gaz consommé en Allemagne provient de Russie, ce qui représente un déficit de 6% si cette source d’approvisionnement est supprimée. Cette situation est considérable étant donné que le gaz représente environ 15% de la consommation totale d’énergie sur une année en moyenne. De plus, la production électrique à partir du gaz en Allemagne est cruciale pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables telles que l’énergie éolienne et solaire. En cas de réduction importante de l’approvisionnement en gaz, certains secteurs du réseau électrique allemand pourraient être déconnectés en raison de l’incapacité à équilibrer la fréquence électrique. Une augmentation soudaine des installations éoliennes et solaires pourrait même entraîner un black-out national. Ainsi, assurer le fonctionnement continu du réseau électrique est bien plus complexe que simplement utiliser un groupe électrogène. L’Allemagne ne pourra pas résoudre cette crise sans l’aide des autres pays de l’Union européenne.
Pour simplifier, si la Russie coupe complètement l’approvisionnement en gaz, l’industrie allemande s’arrêtera en raison de la crise énergétique, surtout en hiver où la demande de gaz est plus élevée que la moyenne annuelle de 15%. La situation est un peu meilleure en France et en Suisse, mais j’ai envoyé une alerte critique le 15 juillet 2022 aux lecteurs de ma lettre d’investissement pour les prévenir que des plans de rationnement étaient déjà à l’étude en réponse à la crise énergétique. Dans la dernière édition de juillet, j’ai également proposé des moyens d’atténuer le choc causé par cette crise. Avec Didier Darcet, nous analysons la situation macroéconomique des grandes régions du monde et complétons les deux portefeuilles de la lettre, « Les Rentiers » et « Tacticien », avec un troisième portefeuille, « Le Spéculateur », afin de tirer le meilleur parti de la volatilité actuelle liée à la crise énergétique, qui ne manquera pas de perdurer.
La scission sociale face à la mondialisation
La crise des « Gilets jaunes » a eu le mérite de mettre en lumière un débat crucial : que faisons-nous de la dérive économique qui creuse l’écart entre les classes populaires des zones rurales et les classes aisées des zones urbaines ? Pour simplifier, dans les villes, les emplois et la création de richesses sont largement liés à la mondialisation, tandis que dans les campagnes et les petites villes, l’économie est davantage orientée vers le local. Lorsque l’on parle de « local », on fait référence à des besoins spécifiques pour lesquels la concurrence internationale est beaucoup moins favorable. C’est précisément là qu’intervient le rôle du taux de change.
L’utilité des taux d’intérêts
Vous identifiez une situation où une communauté locale, comme un pays par exemple, aspire à une plus grande homogénéité par rapport à ses voisins. Dans ce cas, vous créez une frontière avec des douanes et établissez une monnaie avec un taux de change afin de préserver l’ordre social à l’échelle de cette zone. Il convient de souligner que l’unification de la France, qui regroupait autrefois plusieurs régions souveraines, ne s’est pas réalisée sans difficultés. Elle a été marquée par de nombreux massacres qui ont été nécessaires pour parvenir à convaincre l’ensemble de la population.
Les souverainistes contre l’euro et les enjeux de la crise énergétique
Je constate donc un lien étroit entre la montée des partis souverainistes et les problèmes liés à l’euro. Lorsque Marine Le Pen émerge en France ou que Giorgia Meloni gagne en popularité en Italie, il s’agit effectivement de répondre à la question de l’ordre social. Cela s’applique également au Mouvement 5 Étoiles en Italie ou au Parti de Boris Johnson au Royaume-Uni. C’est à ce moment-là que la question de la crise énergétique et des relations avec la Russie devient problématique.
L’Homme de Paille de l’Europe : l’euro et la crise énergétique
De nos jours, nos politiciens attribuent les problèmes de la zone euro à la crise des mesures anti-Covid et à la crise énergétique qu’ils imputent à Poutine. Le problème est que cette approche ne résout pas correctement le conflit politique et économique. Bien sûr, il existe un problème énergétique, mais le résoudre ne réglera pas automatiquement le problème de l’euro. En réalité, ce qui est le plus préoccupant, c’est que l’unité européenne pourrait se former autour de ce conflit énergétique. Si nous empêchons l’euro de s’effondrer, ce seront les classes populaires qui en subiront les conséquences pendant de nombreuses années à venir.
La situation des pays hors euro
La Suisse bénéficie d’un avantage certain dans la mesure où elle doute sérieusement que l’Union européenne lui fournisse du gaz, car nous sommes situés à la fin de la chaîne d’approvisionnement. En d’autres termes, nous sommes les derniers servis. Cela pourrait éloigner les Suisses de toute envie d’intégration européenne, car ils considèrent que fédérer les clans serait le seul moyen de le faire. Cela nous préserverait également de la grande machine qui tend à écarter les nations, comme l’euro.
L’inflation et le rôle qu’y tient la Chine
Un autre problème dont nous avons fait la démonstration avec Charles Gave lors d’une conférence en duo sur le thème du Bitcoin, c’est l’inflation qui est toujours d’origine monétaire, comme le soulignait si bien l’économiste américain, Milton Friedman. Le principe est simple : tout d’abord, l’augmentation incontrôlée de la masse monétaire finit par se retrouver dans l’économie réelle, car elle sert à financer les déficits des États. Ainsi, il y a moins de ressources disponibles pour les retraites, la sécurité sociale et les dépenses en général dans l’économie réelle. Cependant, cette inflation est tempérée par l’importation de la déflation chinoise à travers les produits importés. C’est la fameuse réponse de l’INSEE : l’inflation ne monte pas, car l’augmentation des dépenses courantes des ménages est compensée par la baisse des prix des iPhone et des baskets. C’est également l’indice des Gilets Jaunes de Charles Gave et Didier Darcet qui montre que l’inflation est plus élevée pour ceux qui ont moins de revenus et qui consomment principalement des produits de première nécessité tels que l’énergie, l’alimentation et le loyer de leur logement.
D’ailleurs, si les actions, les obligations et l’immobilier ont augmenté, c’est précisément à cause de l’augmentation de la masse monétaire. Sur ces actifs, il n’y avait pas de concurrence chinoise pour faire baisser les coûts. Mais pourquoi les Chinois ont-ils accepté de vendre leur production à des prix plus bas, alors qu’en retour, ils n’ont reçu que des reconnaissances de dettes dont ils savent pertinemment qu’ils ne seront jamais remboursés ? Pourquoi accumuler des milliers de milliards de dollars de dettes juste pour le plaisir ? Sont-ils bêtes ? Bien sûr que non. Non seulement ils n’ont pas été payés en devises ou en or, mais en réalité, nous avons exporté nos moyens de production en important leurs produits. Les usines se sont ouvertes en Chine, tandis qu’elles se sont fermées dans l’Union européenne, à quelques pays du Nord près, avec l’Allemagne en tête.
Ça fait 50 ans qu’on vous le dit
Ce fut une grande prise de conscience lors de la crise des mesures anti-COVID où nos usines ont disparu. Maintenant, avec le départ massif des usines, la part des dettes détenues par les étrangers commence à diminuer. En réalité, la dette de la France, par exemple, n’est pas particulièrement attractive. Ainsi, les crises liées aux mesures anti-COVID et aux problèmes énergétiques ne sont que des déclencheurs qui accélèrent la grande crise en cours depuis les années 70.
Oui, les années 70, car comme le montre le graphique ci-dessus c’est à ce moment-là que les États occidentaux ont commencé à être structurellement et chroniquement en déficit. Actuellement, nous ne réalisons peut-être pas pleinement l’ampleur de ce problème, car depuis 2020, les États-Unis explosent tous les records de déficit, ce qui masque la courbe générale. Cependant, si nous observons la courbe jusqu’en 2019, nous nous rendons bien compte que le problème a commencé dans les années 70, et ce que nous vivons aujourd’hui n’est que l’accélération d’une tendance à long terme. La fin de l’étalon-or a marqué la fin des contraintes budgétaires sérieuses pour les États, car il n’était plus possible de concilier une politique budgétaire responsable et un État-providence. L’Occident a fait un choix, sous l’impulsion des États-Unis.
Conclusion
En conclusion, cette crise énergétique s’ajoute à nos problèmes structurels, et il ne faut pas croire que résoudre la question énergétique suffirait à régler nos problèmes politiques. L’inflation est présente à double titre, et si nous nous trompons dans le diagnostic, l’Union européenne est vouée à plonger dans une terrible crise. La situation en Europe est très hétérogène, et les indicateurs avancés ne sont pas du tout encourageants, notamment en Allemagne, le moteur de l’Union européenne. Donc, si vous n’avez pas encore commencé à prendre des mesures pour protéger votre patrimoine, sachez que vous êtes en retard, car l’euro a déjà perdu 20% de sa valeur en un an. Cependant, il est encore possible de limiter les dommages. C’est pourquoi nous vous invitons à découvrir « La Stratégie Grand Angle » avec Didier Darcet : formation unique pour construire un portefeuille financier profitable et solide sur le long terme, malgré l’inflation et la crise à venir.
Richard Détente